Chronique de Pierre Foglia publiée dans La Presse, le 15
janvier 2013
À petits pas
On n'a plus les vieux qu'on avait, disait ma collègue Louise
Leduc dans La Presse d'hier. «Le culte de la performance gagne les
personnes âgées au grand dam de celles qui n'ont pas envie d'une retraite au
grand galop.»
Ben là, Louise ! Samedi, mettons. Samedi il faisait 10
au-dessus. Que vouliez-vous que je fisse? Que je tricote? Que je me berce? Dix!
Un 12 janvier. Je suis parti à vélo évidemment: 55 kilomètres euphoriques avec,
à chaque coup de pédale, le sentiment enivrant de fourrer l'hiver jusqu'au
trognon. J'ai même ôté mes gants. J'avais assez faim en arrivant à L'OEuf! La
tarte au sucre avec de la crème fouettée dessus était assez cochonne...
J'ai demandé à Normandeau, le propriétaire, si j'étais son
premier cycliste de l'année. Je l'étais. Ç'a été ma seule petite fanfaronnade
de la journée.
Redites-moi ça, Louise? «Au grand dam de celles qui n'ont
aucune envie d'une retraite sur le grand plateau?» Moi non plus, je n'étais pas
sur le grand plateau samedi. J'ai mouliné tranquille tout le long. Ai-je dit
qu'un pâle soleil diffusait une lumière presque blanche et que les champs
faussement avertis du printemps se découvraient en larges cercles de terre
brune? Qu'un chien de ferme m'a couru après? Un vieux, les poils du museau tout
blancs. Je me suis arrêté. Il s'est approché: vieux nono, j'ai dit gentiment.
Il a remué la queue.
En passant, c'est pas juste les chiens qui font ça, essayez
avec un vieux de votre entourage. Dites-lui gentiment: vieux nono. Vous allez
voir, il va remuer la queue.
Pourquoi sont pas contentes que je sois allé rouler samedi,
vos madames? Performance ou pas, en quoi cela peut-il bien les chagriner? Moi,
je ne les empêche pas de faire la grasse matinée puis d'aller à tous petits pas
jusqu'au salon de thé.
Non seulement ça ne me dérange pas qu'elles aillent à tout
petits pas, mais je les applaudis même très fort de ne pas aller jouer au
volleyball le mardi matin avec l'Amicale des aînés de Laval. Voyez-vous,
Louise, la grande différence, chez les vieux, n'est pas entre ceux qui font de
l'exercice et ceux qui n'en font pas, mais entre ceux qui font partie d'un
club, d'un groupe ou d'un regroupement, d'une association, bref entre ceux qui
vieillissent en troupeau, et ceux qui vont seuls (ou par deux) et qui sont bien
dans leur solitude.
La différence entre les vieux n'est pas entre ceux qui vont
vers la mort à petits pas et ceux qui y vont en courant, mais entre ceux qui y
vont en autobus, le même autobus qui les conduit au casino, à
Sainte-Anne-de-Beaupré ou au théyâtre d'été, et ceux qui y vont seuls ou
presque.
Mais pour être vraiment sérieux, Louise, je vous dirais
qu'il y a deux sortes de vieux: ceux qui sont malades et ceux qui ne le sont
pas. Les autres différences ne sont pas très importantes.
En passant, vous direz à votre sociologue, celui qui vous
parle «du déni de la mort», qu'on est pas mal tannés de l'entendre, celle-là.
Les vieux ne nient pas la mort, ils y pensent tout le temps, ils n'ont rien
d'autre à faire.
Et non, à 72 ans, je ne fais pas de vélo pour la repousser.
Je fais du vélo pour ne pas trop me faire chier en l'attendant.
LE LYRISME -
Avant que Rebelle soit retenu pour les Oscars,
j'écrivais dans une récente chronique: j'ai eu de la misère, mais c'est loin
d'être nul.
C'est un peu court, m'a-t-on reproché. Puisque ça vous prend
un discours, je vais vous le dire: ce avec quoi j'ai eu de la misère dans
Rebelle, c'est la poésie. La poésie m'énerve quand elle surgit dans une oeuvre
comme une fabrication, un «traitement», un point de vue: attention, ici poésie.
C'est rarement de la poésie, c'est du lyrisme et le lyrisme, ça m'épuise, j'en
suis tout de suite fatigué. Et aussi quand surgit le lyrisme - que ce soit dans
un film, une chronique, une chanson, un livre - se produit chez moi un curieux
phénomène acoustique: j'entends dans ma tête comme un camion de pompiers qui
arrive à toute vitesse, pimpon, pimpon, ce qui a pour résultat de me distraire
grandement de l'oeuvre, ce qui est un peu embêtant pour l'oeuvre.
Il y a de nombreuses exceptions. Je pense au meilleur
Christian Bobin. Quoique le pire Bobin, en faisant surgir la poésie de... la
poésie, me fait parfois entendre mille camions de pompiers en même temps. Ceci,
par exemple: «J'attends d'un poème qu'il me tranche la gorge et me
ressuscite».1
Voilà pour la misère. Mais j'ai ajouté aussi «loin d'être
nul». Comme on disait quand j'étais petit, Rebelle est un bon petit film «d'art
et d'essai». Cela a d'ailleurs soulevé un minidébat amusant comme tout:
pourquoi, d'après vous, ont demandé des journalistes à l'homme de la rue et son
épouse, pourquoi le cinéma québécois qui s'en va nulle part s'en va néanmoins
aux Oscars?
Ah.
COMMUNICATION –
J'arrivais à La Presse l'autre midi, une dame m'interpelle
dans la rue: ah ah, monsieur Foglia, vous avez un blogue maintenant?
Comment ça, un blogue?
Effectivement, je ne m'étais pas avisé que, depuis quelques
semaines, sur le Net, vous pouviez laisser un commentaire à la fin de cette
chronique, commentaire auquel j'aurais pu faire écho, auquel d'autres lecteurs
répondaient en se relançant, mais sans moi puisque je n'étais pas au courant.
Anyway, c'est pas mon truc, j'ai des belles qualités, mais je ne suis pas du
tout interactif. Vous n'imaginez pas à quel point je ne suis pas interactif.
J'ai donc fait annuler la fonction commentaire. Si vous avez quelque chose à me
dire, envoyez-moi un courriel à pfoglia@lapresse.ca. Des fois, je réponds.
1. Bobin, Un assassin blanc comme neige, page 59, Gallimard
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