Ralentir pour mieux vivre
Article d’Olivia Lévy publié dans La
Presse, le 12 octobre 2013
Journaliste
canadien qui vit à Londres, Carl Honoré est une des figures emblématiques du
mouvement slow. Auteur à succès depuis Éloge de la lenteur, qui a été traduit
dans plus de 30 langues, il était de passage à Montréal cette semaine pour
parler de son nouveau livre, Lenteur, mode d'emploi.
L'auteur a enquêté
dans différents endroits du monde, écoles, entreprises, hôpitaux, usines,
prisons, pour découvrir qu'il y a des solutions à nos problèmes. Selon lui,
devant les difficultés, il faut savoir prendre du recul, admettre ses erreurs
et opter pour des solutions lentes à long terme. Dans un monde où tout va trop
vite, nous nous sommes arrêtés le temps d'une rencontre avec un père de famille
qui est heureux d'avoir ralenti et qui, grâce à cela, voit la vie avec beaucoup
plus d'optimisme.
Quel a été
l'élément déclencheur de votre premier livre, Éloge de la lenteur, qui est un
succès mondial?
Avant d'écrire mon
premier livre, ma vie était une véritable course contre la montre. Même les
moments intimes avec mes enfants devaient se faire rapidement. Au moment de les
coucher, j'étais incapable de ralentir, alors je faisais une lecture dynamique
de Blanche-Neige en sautant des lignes et parfois des pages entières! J'étais
pressé, fatigué et stressé comme tous les parents. Pour mon fils, il y avait
trois nains au lieu de sept ! Lorsque j'ai vu qu'il existait une version
accélérée de Blanche-Neige en 60 secondes, j'ai pensé dans un premier temps que
c'était génial. Puis, c'est là où je me suis dit: non, je ne peux pas continuer
comme ça. C'est impossible. Ç'a été une grande révélation.
Vous proposez des
solutions lentes à long terme pour régler les problèmes de notre société. Vous
suggérez notamment d'apprendre à reconnaître ses erreurs.
Oui. J'ai
l'impression que nous sommes piégés dans cette culture de la vitesse. Ça fait
mal à nos entreprises et à la société, car on est toujours à la recherche du
remède miracle immédiat... Les erreurs, c'est le point de départ de toute bonne
solution. Reconnaître qu'on s'est trompé.
La pression est
omniprésente. On veut tous être parfait et vivre dans l'utopie. C'est une
libération d'accepter ses erreurs. En Angleterre, la Wimbledon School a
instauré la semaine consacrée aux erreurs (failure week). Quelle belle
initiative! C'est tout le contraire de ce que nous vivons. À l'école,
normalement, on est pénalisé si on fait des erreurs alors que ça fait partie de
l'apprentissage. Reconnaître ses erreurs, c'est contraire à la culture ambiante
de performance. C'est presque révolutionnaire! Alors que les gens les plus
intéressants, ceux qui ont changé le monde, ce sont ceux qui ont fait des erreurs.
Avez-vous vraiment
ralenti?
Oui et c'est un
grand soulagement! J'ai écrit trois livres sur le sujet et si je ne pouvais pas
mettre en pratique ma propre philosophie, ce serait grave. J'ai apporté de
vrais changements dans ma vie.
Avant, j'étais
toujours pressé, je comptais les secondes. Aujourd'hui, j'ai un emploi du temps
intéressant, je fais beaucoup de choses, mais j'ai oublié la sensation d'être
pressé. Je prends le temps. Je ne suis pas un fondamentaliste de la lenteur. Il
n'est pas question de tout faire à pas de tortue, ce serait absurde, mais il
faut choisir la bonne vitesse. Il y a des moments où il faut aller vite et
d'autres où il faut ralentir. Prendre un peu de recul est important. C'est un
juste équilibre entre rapidité et lenteur.
Qu'est-ce que
le mouvement slow a apporté à la société?
Je suis beaucoup
plus optimiste aujourd'hui qu'il y a 10 ans. D'un côté, la société a continué
son accélération. De l'autre, le courant pour la lenteur a progressé. On le
sait aujourd'hui: tous les experts du yoga qui embrassent la lenteur
travaillent avec des cadres de grandes entreprises. Les hauts dirigeants
commencent à comprendre que la lenteur peut les aider et peut entraîner plus de
productivité. Ça améliore la qualité de vie, la santé et le bonheur des
employés. Quand la direction d'Amazon se réunit, les dirigeants commencent
toujours leur réunion par 30 minutes de silence et de réflexion. De cette
façon, ils sont beaucoup plus efficaces. C'est un bel exemple de ce que
j'appelle le «délicieux paradoxe de la lenteur». Le fait de ralentir donne de
meilleurs résultats. Prendre une pause permet d'être plus efficace. La
méditation a gagné beaucoup de terrain dans le monde des affaires en Amérique
du Nord. Pourquoi? Parce qu'elle a un effet bénéfique. Elle augmente la
concentration et la créativité. Les patrons traitent et gèrent plus rapidement
leurs problèmes, car ils sont reposés.
J'aime beaucoup ce
paradoxe. Ça nous rend plus forts, plus riches, plus humains. Ça fait du bien.
Est-il
important pour notre santé de nous débrancher?
Aujourd'hui, les
entreprises nous envoient enfin ce message qu'il est bon de se débrancher.
Hewlet Packard a fait une étude sur le fait d'être toujours branché. Le
résultat, c'est que le niveau du coefficient intellectuel baisse de
10 points. On a tous validé l'idée que c'était résolument moderne d'être
joignable et accessible en tout temps et que c'était hyper productif. C'est
l'inverse. Ça nous abrutit alors que ce n'était pas l'objectif.
Qu'est-ce qu'on
vous dit le plus souvent aujourd'hui à propos de la lenteur?
«Merci.» Ou
alors: «J'offre votre livre à mon patron! À ma femme, à mon mari.» On me
remercie d'avoir donné la permission de ralentir. Le tabou de la lenteur a
atteint un tel sommet que même les gens qui ont envie de ralentir n'osent pas
le faire. Même quand leur corps leur envoie des signaux d'alarme. On a peur, on
a honte de s'arrêter. Et je suis arrivé à ce moment dans la vie des gens avec Éloge
de la lenteur. Vous savez, la patience, le recul, c'est dans la Bible, c'est la
sagesse de toujours. Je n'ai rien inventé. Il fallait l'exprimer autrement, de
manière plus moderne, et je l'ai fait. Je ne suis pas le dalaï-lama. J'ai deux
enfants, un iPhone et je vis dans une grande ville. J'étais sûrement une parole
et un modèle plus réalistes.
Lenteur, mode
d'emploi, de Carl Honoré, éditions Marabout, 24,95 $.