samedi 30 mars 2013

Le bonheur des yeux...




Heureux les yeux qui n’ont pas besoin d’illusion pour voir que le spectacle est grand.
Maurice Maeterlinck

vendredi 29 mars 2013

Un destin hors du commun




Lui, ses souliers
Le chemin le moins fréquenté
Chronique de Josée Blanchette publiée dans Le Devoir, le 29 mars 2013

« Il est des destins singuliers auxquels on ne peut tourner le dos. Ils s’annoncent, mine de rien, et vous talonnent jusqu’à ce que vous emboîtiez le pas. Pèlerin, apôtre ou simple vagabond ? Chez nous, on dirait « quêteux ». Jean Béliveau a consacré 11 années à parcourir les routes du monde, parti faire une marche un matin du mois d’août 2000, pour ne rentrer qu’en 2011 et être passé par les cinq continents. L’exploit tient de l’ordinaire pour un homme en crise de milieu de vie qui ne voit plus d’horizons s’ouvrir à l’âge de 45 ans. Tout le monde peut marcher. Mais il relève de l’extraordinaire en matière de détermination et d’obstacles logistiques surmontés avec 4000 $ en poche au départ.

Lui, son chariot et ses 54 paires de chaussures ont usé la surface du globe, près de 80 000 kilomètres, en laissant une très légère empreinte de carbone. Jean Béliveau, ex-entrepreneur en enseignes lumineuses, n’avait jamais voyagé plus loin que les chutes Niagara, ne parlait pas l’anglais et ne s’imaginait pas que les cultures, la politique, le climat, la géographie et les religions puissent dresser des frontières aussi radicales entre les peuples et les mentalités.

Cinq continents plus tard, et plusieurs déserts intérieurs traversés, le grand gaillard natif de l’Estrie avoue qu’il s’est ennuyé de la neige le long du parcours. De la nei-ge…

Il a eu faim, soif, chaud, froid, il a eu peur, a eu mal et souffert mille morts, mais il a appris à vivre selon un rythme lent, celui de la marche, au présent. « J’ai la nostalgie de l’humilité », me confie celui qui a subi le retour comme son tsunami culturel depuis un an et demi.

« En Amérique, ce fut le choc des valeurs ; en Afrique, celui de la spiritualité ; en Europe, la politique ; en Asie, l’environnement ; et en Australie, la rétrospective du voyage tout entier », résume le marcheur, qui s’est mis en mode « retour » après cinq ans et demi, quelque part dans un bled perdu de Hongrie.

Il parle de l’Occident avec des mots coupants, s’est sensibilisé à l’environnement, au gaspillage des ressources, aux inégalités sociales générées par les pays puissants. La pauvreté est devenue une richesse pour cet homme simple. Dans son passeport, 64 tampons aux douanes et de nombreux visas (même iranien, une rareté) témoignent de son parcours insolite de grand voyageur. Il aurait aimé s’attarder sur l’île de Bornéo, au Mozambique et en Iran…

Citoyen du monde
Nous sommes nombreux à ne découvrir qu’aujourd’hui le parcours de Jean Béliveau, à l’heure où son récit paraît aux éditions Flammarion Québec sous la plume vive et bien trempée de la journaliste Géraldine Woessner, qui en a fait un livre d’aventure écrit à la première personne. On dévore sans se lasser ce pèlerinage dont le déclencheur - une crise existentielle - s’est mué en marche dédiée à la paix pour les enfants. Et on voit déjà le film qui pourrait en être tiré avec Javier Bardem dans le rôle-titre. Par ici Hollywood ou Almodovar.

Faisant équipe virtuellement avec lui et venant à sa rencontre une fois l’an, la femme de Jean, Luce Archambault, a également subventionné en partie l’entreprise de son mari en lui envoyant 5000 $ par an « sur son vieux gagné ». Onze lunes de miel plus tard dégustées à Quito, Santiago, Alexandrie, Istanbul, Sydney ou Vancouver, Luce se dit que son soutien n’avait rien de si inusité : « Peut-être qu’on ne serait plus ensemble s’il était resté ici… », glisse-t-elle.

Cette jeune retraitée, tout sauf matante, est aussi fière que Jean du chemin parcouru. Comme Pénélope, elle a tissé sa toile en l’attendant : « C’était une autre sorte de Toile, me dit-elle. J’ai beaucoup travaillé sur le site Web (wwwalk.org), sur les photos, à préparer son arrivée partout où il passait, à attirer l’attention des journalistes. »

Entre immense solitude et foules en liesse, Jean a vécu de tout et reçu l’aumône, surtout chez les plus démunis. On lui a offert de la nourriture, le gîte, des femmes (!), du thé, de l’eau (qu’il n’a jamais filtrée), de la vodka (non plus), du tabac, de la drogue, de lui laver les pieds, des souliers, des gris-gris, des orthèses (en Corée), une opération de la prostate (merci l’Algérie !), des billets d’avion et de l’argent.

Un pur inconnu rencontré en Provence a fait venir sa fille et sa petite-fille de cinq ans, qu’il n’avait jamais rencontrée, lors de son passage en Allemagne, chez son fils. L’apôtre Jean s’en est remis à la Vie, à la Providence, et d’une certaine façon sa naïveté l’a protégé. « J’étais naïf au départ… et je le suis resté », m’explique-t-il avec son grand sourire débonnaire.

Cet homme a conservé une fraîcheur peu commune, s’intéresse à l’autre comme rarement chez les spécimens de cet âge. Jean n’est qu’ouverture et curiosité, s’émerveille d’un rien. Si les fous et les poètes peuvent changer le monde, ne sous-estimons pas la cohorte plus rare des naïfs, épargnés par le cynisme et la cruauté de l’existence.

Le retour d’Ulysse
Aujourd’hui, Ulysse doit s’accommoder d’un monde où rien ne se vit au présent, où tout est planifié, une existence enfermée dans sa course vers l’avenir. Lui qui fut itinérant et sans domicile fixe durant plus d’une décennie, marche encore ses dix kilomètres par jour comme une méditation retrouvée.

La liberté, mot vaste, s’avère un fourre-tout romantique dont Jean a fait le tour, même en prison, où « on l’a fait » séjourner. Au bout de sa route, il a retrouvé sont port d’attache, son indéfectible Luce.

Ce 16 octobre 2011, le duo improbable a parcouru le dernier kilomètre, de la place Jacques-Cartier jusqu’à la maison, seuls ensemble, main dans la main, échappant aux caméras, amis, enfants, badauds. Qui, d’Ulysse ou de Pénélope, a fait un long voyage ? On ne le saura jamais. Mais, chose certaine, ces deux-là auront des choses à se dire en silence, en se berçant sur la galerie de leurs vieux jours. Si s’aimer c’est regarder dans la même direction, mieux que quiconque ils peuvent fermer les yeux.

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Twitter: @cherejoblo
Le site Internet de Jean Béliveau


jeudi 28 mars 2013

Le pouvoir des sensations



Changer par l’expérience et par les sensations
Billet de Michel Lejoyeux publié le 22 mars 2013 dans Psychologies

« Pour comprendre, il faut ressentir. Nous nous en doutions. Nous l'éprouvions. Une expérience récente vient de le confirmer. Gary Guging, professeur de psychologie à l’université de Notre Dame, s’est intéressé à une neurobiologiste spécialisée dans la perception des couleurs. Cette femme –on ne sait pas s’il l’invente ou s’il l’a vraiment connue- a fait des études très poussées sur la physiologie de la vision. Elle sait comment la rétine perçoit les différentes couleurs.

Mary a cependant un problème. Elle a, depuis sa naissance, un handicap qui l’empêche complètement de voir elle-même les couleurs. Elle sait donc tout de la couleur en théorie, mais n’en a jamais perçue. Grâce à une expérience qui relève un peu de la science fiction, elle trouve la vision des couleurs qu’elle n’avait jamais connue. Quand ses bandages sont enlevés, Mary regarde autour de la pièce et voit un bouquet de roses rouges que lui a envoyé son époux. À ce moment, pour la première fois, Mary fait l’expérience du rouge et sort d’une approche théorique. Cette expérience nouvelle lui révèle des sensations et même des connaissances qu’elle n’avait jamais pu apprendre grâce à la théorie. Elle avait pu être une spécialiste en physiologie et en neurologie. Il lui manquait l’essentiel : l’expérience sensible.

Gary Gutting donne un autre exemple. Imaginez un zombie. Il ne s’agit pas d’un monstre comme dans les films d’épouvante, mais d'un zombie au sens philosophique, c'est-à-dire une personne totalement identique à vous. Il aurait le même aspect physique, les mêmes caractéristiques génétiques. La seule différence est qu’il n’aurait évidemment pas eu la même vie que vous et n’aurait pas connu les mêmes expériences. Il aurait beau être totalement ressemblant, il n’aurait pas les mêmes croyances, les mêmes émotions parce qu’il n’a pas traversé les mêmes sensations. Là encore, cet exemple du zombie montre que, en plus des théories les plus raffinées, l’expérience et l’émotion sont des facteurs déterminants.

Une nouvelle psychologie nous apprend progressivement le pouvoir des sensations. Se concentrer sur des expériences en apparence minuscules est une activité très sérieuse. Il peut s'agir d'une promenade, d'un moment d'activité artistique. Toutes ces expériences construisent ce que nous savons et même ce que nous sommes. La vérité de notre vie est dans ses détails en apparence négligeables. C'est en retrouvant leur conscience, en éprouvant grâce à eux du plaisir que l'on fait un voyage extraordinaire vers soi-même. Faute de quoi, nous risquons de ressembler à Mary, la savante qui connait tout des couleurs sans en ressentir l'émotion.»

mercredi 27 mars 2013




La France m’inquiète
Un billet de Martin Bisaillon
publié dans MSN actualités

« Dimanche dernier, 300 000 personnes ont défilé dans Paris, selon les autorités. Les organisateurs de la manifestation ont revendiqué quant à eux 1,4 million de participants.
Peu importe.

À la Place de l’Étoile, la manifestation a tourné au vinaigre. Les forces de l’ordre ont employé des gaz lacrymogènes pour contenir des débordements. Il y a eu 98 arrestations. Des enfants ont été gazés par la police : ils accompagnaient leurs parents descendus sur Paris pour clamer leur colère. Contre quoi ? Le mariage entre personnes du même sexe.
Au 21e siècle.

On est habitué de voir les Français manifester pour tout et pour rien. Une caractéristique nationale qui fait sourire la plupart du temps. Les Français gueulent pour la retraite à 60 ans, pour les contrats d’embauche, l’éducation gratuite, etc.

Au pays des vacances payées temps double et des tickets de restaurant fournis par l’employeur, la rue est souvent en effervescence.

Mais dimanche dernier, comme un peu plus tôt cet hiver, la France nous a montré l’autre versant de son visage, celui de l’intolérance.

On aime la France, mais on oublie souvent son côté sombre. On oublie, par exemple, que sous Sarkozy, une loi promulguait le délit de solidarité envers les clandestins. De 2005 à janvier 2013, il était interdit de les aider en France sous peine d’être arrêté. On pouvait être dénoncé par un voisin ou un rival et paf : les flics cognaient à votre porte. Au pays des Lumières ? Eh oui. Je vous suggère l'excellent et beau film de Philippe Lioret, Welcome, à ce sujet.
Et voilà que des centaines de milliers de personnes manifestent contre les mariages entre conjoints du même sexe. Spectacle affligeant encouragé par la droite et même par l’ancien président de la République.

« Avec leur mariage pour tous, (…) bientôt, ils vont se mettre à quatre pour avoir un enfant », s’est même permis de commenter Nicolas Sarkozy… qui a quatre enfants issus de trois unions.

Une France bigote, intolérante qui ne veut pas que tous ses citoyens aient les mêmes droits était dans la rue dimanche. C’était la France de la Collaboration, des procès intentés par les intellectuels communistes contre les dissidents soviétiques, des guerres coloniales et des dénonciations.
Cette France-là, je ne l’aime pas. »


mardi 26 mars 2013

Le bonheur de regarder




« Je préfère ce qui n’est pas dans le monde, ce qui flotte légèrement au-dessus, je préfère ne pas entrer dans le monde et rester sur le seuil – regarder, indéfiniment regarder, passionnément regarder, seulement regarder.»

Christian Bobin, Geai, Gallimard 1998

lundi 25 mars 2013

Mythologies 101


La boîte de Pandore au recyclage
Chronique de Stéphane Laporte publiée dans La Presse, le 23 mars 2013

Zeus donna à Pandore une boîte, en lui faisant promettre de ne pas l'ouvrir. Quel tordu! Les dieux maîtrisent mal le concept de cadeau. Ils posent toujours des conditions absurdes. Pourquoi donner une boîte à quelqu'un s'il ne peut pas l'ouvrir? À quoi ça sert de donner un pommier à Ève si elle n'a pas le droit de manger de pommes?

Ce n'est pas un don, c'est un piège. Surtout que, dans toutes les mythologies du monde, la femme est curieuse, la femme veut savoir. Comme Janette. Pandore ouvrit sa boîte, bien sûr. Et tous les maux de l'humanité s'en échappèrent: la vieillesse, la maladie, la guerre, la famine, la misère, la folie, le vice, la tromperie... Mettez-en!

Si Pandore avait suivi le conseil de Patrick Huard, ferme ta boîte, tout irait bien sur la planète. Tous les humains seraient jeunes, beaux, en santé, équilibrés et fidèles. Comme dans les descriptions d'abonnés au Réseau Contact.

Ben non! Les malheurs sont sortis de la boîte. Et les malheurs, c'est comme les meubles IKEA, une fois que c'est sorti de la boîte, on ne peut plus les remettre dedans. On est mieux de faire quelque chose avec les morceaux parce que, de toute façon, on va les avoir dans les jambes.

Le journal est rempli des affaires qui sont tombées de la boîte de Pandore. Ç'aurait été si simple de mettre sa boîte dans un coffret de sûreté. Et de l'oublier.

Jean Charest n'est pas une femme. Il ne voulait pas l'ouvrir, la boîte de Pandore. Il ne voulait rien savoir. Mais Sylvie Roy et Pauline Marois n'ont pas arrêté de lui dire: faut l'ouvrir, faut l'ouvrir! Il n'a pas eu le choix. Il a fini par instituer une commission d'enquête sur la construction. Son plan initial, c'était qu'elle dure seulement une semaine et que les témoins aillent donner des conseils de décoration, comme les Airoldi.

Mais ce n'est pas ça qui est arrivé. Quand la boîte est ouverte, elle est ouverte.

La commission Charbonneau va durer presque quatre ans. Elle risque de voir se succéder au moins trois gouvernements. La corruption est partout. Et fouiller partout, ça prend du temps. On est encore juste à Montréal. On n'est même pas rendu à Laval. Il y a 1135 municipalités au Québec, plus un gouvernement provincial. Ce sont autant d'autorités qui commandent des travaux et qui ont des petits amis.

La commission Charbonneau pourrait facilement durer 10 ans, 20 ans, il y aurait encore des centaines de scandales à dévoiler.
Duplessis s'est fait élire parce que le gouvernement Taschereau était trop corrompu. Les libéraux sont revenus au pouvoir parce que la bande de Duplessis était trop corrompue. Le Parti québécois a pris le pouvoir parce que les libéraux étaient trop corrompus... Ça ne finit plus.
Les purs remplacent des corrompus et deviennent des corrompus, remplacés par des purs qui deviendront corrompus.

La commission Charbonneau ne mettra pas fin à ça. Ce n'est pas parce qu'un hôpital existe que tout le monde sera en santé un jour.
La commission Charbonneau doit d'abord diagnostiquer le cancer de la corruption. Puis elle accouchera d'un rapport proposant un traitement. Mais jamais elle ne vaincra la corruption. Elle va juste essayer de ralentir sa progression.

On va sûrement ériger de nouveaux systèmes de surveillance qui seront efficaces jusqu'au jour où ils seront infiltrés à leur tour.
Devant cette fatalité, l'homme est corrompu et le sera toujours, aurait-il mieux fallu laisser les vilains s'organiser dans leur boîte, en cachette? Ce qu'on ne sait pas ne fait pas mal.
Non. Parce que si la commission Charbonneau nous fait mal, elle fait aussi mal à ceux qui le méritent. Et ça éveille les consciences de ceux qui en ont encore une.
Nous n'avons pas à avoir honte des révélations de la commission Charbonneau. Toutes les sociétés sont corrompues. L'Ontario, les États, la France, personne n'a de leçon à nous donner.
Et si on en parle moins ailleurs, c'est tout simplement parce qu'on n'ouvre pas la boîte. Mais elle est bien là. Et en version géante.
Nous avons le courage, en ce moment au Québec, de dénoncer la corruption. C'est déjà un pas dans la bonne direction.

Le triomphe de l'honnêteté ne se fera pas en quatre ans. Mais si l'honnêteté baisse les bras, si l'honnêteté laisse faire, il ne se fera jamais.
Tandis qu'en luttant, en enquêtant, en condamnant, il y a toujours espoir qu'il se fasse un jour.
C'est cet objectif qui empêche la résignation de corrompre mêmes les incorruptibles.
Ce n'est pas parce qu'il y aura toujours de la poussière qu'il faut arrêter de balayer.
Balayons, balayons.

Ce ne sera jamais propre pour toujours. Mais ça va être moins sale.
La boîte de Pandore finira un matin au recyclage. Et deviendra une boîte à musique.
Pour joindre notre chroniqueur: slaporte@lapresse.ca

http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/stephane-laporte/201303/23/01-4634038-la-boite-de-pandore-au-recyclage.php

dimanche 24 mars 2013

Après les gras, on passe aux sucres




Le sucre, un doux poison ?
Article de Vanessa Fontaine publié dans La Presse, le 23 mars 2013

« Un nombre grandissant de scientifiques nous avertissent: selon eux, le sucre est toxique, pire que le gras, l'une des causes principales de l'obésité, du diabète, du cancer et des maladies cardio-vasculaires.

«Le sucre est bel et bien toxique», proclame le New York Times du 27 février, dernier éclat d'une controverse qui gronde depuis quelques années. L'article rapporte les résultats d'une étude menée par le Dr Robert Lustig, endocrinologue bien connu pour sa guerre contre le sucre, dont la vidéo Sugar: The Bitter Truth a été vue plus de trois millions de fois sur YouTube. Selon cette étude, la consommation de sucre était liée au diabète indépendamment du taux d'obésité, et ce, à l'échelle de 175 pays. Même en contrôlant toutes les autres variables comme la pauvreté, l'urbanisation et l'activité physique, le sucre était le seul facteur à prédire l'apparition du diabète. Entre deux populations équivalentes qui consommaient exactement le même nombre de calories, l'incidence de diabète était plus élevée chez ceux qui consommaient plus de sucre.

Le sucre est donc le principal problème lié à notre alimentation, selon le journaliste du New York Times, qui conclut: «Ce n'est pas le fait de trop manger qui vous rend malade; c'est de trop manger de sucre. Nous avons finalement la preuve qu'il nous fallait pour rendre un verdict.»

Cette étude va connaître un important retentissement, selon le Dr Dominique Garrel, endocrinologue et professeur titulaire à l'Université de Montréal. Il rappelle que «la toxicité des sucres est connue depuis très longtemps des biochimistes. Pour nos artères notamment, le sucre est un véritable poison». Que ce savoir ne soit pas plus répandu est une question d'éducation, selon lui. «C'est aussi parce que la guerre au gras a occupé le terrain, dit-il. Il y a beaucoup de résistance à l'idée que le sucre soit responsable, parce que le sucre ne contient pas beaucoup de calories, à 3,4 par gramme, contre 9 par gramme pour la graisse.»

Au fur et à mesure que les dirigeants de l'industrie agroalimentaire ont réduit le gras de leurs produits, ils l'ont remplacé par du sucre. «Ç'a été un effet pervers de la guerre contre la graisse. Ils ne vont pas vendre des aliments où il n'y a pas de calories, dit le Dr Garrel en riant. Personne n'en mangerait, ils ne sont pas fous.»

Cette résistance à l'idée que le sucre puisse être néfaste s'explique aussi autrement, selon le journaliste scientifique Gary Taubes, auteur de Bonnes calories, mauvaises calories, et dont le prochain livre portera d'ailleurs sur le sujet. «Les gens adorent cette substance, a-t-il dit lors d'une entrevue téléphonique. C'est comme ça que nous communiquons l'amour dans notre culture. Les mères donnent des sucreries à leurs enfants. Que seraient les anniversaires sans le sucre? La Saint-Valentin? Alors, vous êtes mieux d'avoir des preuves assez convaincantes avant de dire aux gens de ne pas en consommer.»

«Si le Dr Lustig a raison, ajoute-t-il, cela voudrait dire que le sucre est également la cause alimentaire la plus probable de plusieurs autres maladies chroniques, communément considérées comme étant des maladies liées au mode de vie occidental.» Ces maux, aussi appelés «maladies des civilisations», incluent les caries, les maladies cardiaques et le cancer, des afflictions qui, pour des raisons encore mal expliquées, sont peu fréquentes ou même inexistantes dans les sociétés traditionnelles et apparaissent habituellement lorsqu'une population s'occidentalise. Les hommes des cavernes, par exemple, avaient probablement une meilleure dentition que nous, selon une équipe internationale de chercheurs qui a examiné des squelettes préhistoriques, et dont les conclusions ont été publiées en février.

Le problème, selon le Dr Garrel, c'est qu'avant les années 80, la consommation de sucres purs se trouvait sous un seuil pour lequel les conséquences sur la santé étaient minimes. «Mais ce qui a complètement changé l'histoire, c'est qu'à partir des années 80, les Américains ont réussi à extraire le fructose du maïs avec une extraordinaire efficacité, à un coût ridicule. Donc, l'industrie du sucre en a mis partout. D'ailleurs, quand on regarde la courbe d'obésité depuis les années 80 et qu'on essaie de la mettre en parallèle avec tous les autres paramètres de consommation alimentaire, il n'y a que la consommation de sucre pur qui est en parallèle avec l'obésité.»

D'un point de vue évolutif, nos ancêtres étaient habitués à consommer des fruits en saison et quelques sucreries à l'occasion, jamais rien de semblable au sirop de fructose qui envahit aujourd'hui nos tablettes. Comme l'explique le Dr Garrel, la quantité totale de sucre est un problème, «mais c'est la vitesse d'entrée du sucre dans le système qui fait la plupart des dégâts. Dans une canette de cola, il y a 40 g de sucre, donc il faudrait presque 1 kg de fraises pour l'égaler. Et je vous défie de manger 1 kg de fraises en 10 minutes». Pour la même raison, il est beaucoup mieux de consommer une orange qu'un verre de jus d'orange, dont le sucre, débarrassé des fibres et des nutriments de l'orange, est absorbé beaucoup plus rapidement par l'organisme.

Les effets potentiellement nocifs du sucre inquiètent de plus en plus de gens, qui croient qu'il est maintenant temps pour nos gouvernements d'agir. Le problème, selon Gary Taubes, «c'est que ces maladies mettent toute une vie à se former. Comme les scientifiques ne disposent pas de décennies pour mener leurs recherches, ils utilisent des rats et leur administrent des doses élevées de sucre. Cela laisse beaucoup de jeu aux sceptiques, qui peuvent dire: Oui, mais regardez les quantités que vous leur avez données, ou C'est peut-être vrai pour les rats, mais pas pour les humains». Il croit que l'industrie du sucre, soutenue par de puissants lobbys, cultive cette ambiguïté par rapport au danger de son produit, tout comme le faisait l'industrie du tabac avant elle.

Une comparaison appropriée, selon le Dr Garrel, même si, en fait, «on n'a jamais pu causer un seul cas de cancer du poumon chez un animal en le forçant à fumer. On a tué des milliers et des milliers de rats et de lapins en essayant de le faire, on n'y est jamais arrivé. C'est pour ça, d'ailleurs, que les sociétés de tabac se sont toujours défendues en disant: Regardez, il n'y a pas de preuves. Là, c'est complètement différent. Vous nourrissez un rat avec du fructose, vous allez le rendre résistant à l'insuline en deux jours».

Il est inutile d'attendre qu'une causalité parfaite soit démontrée entre le sucre et ses effets délétères, selon lui. «Ça n'arrivera pas. À mon avis, on doit appliquer ce qu'on appelle le principe de précaution, c'est-à-dire: on a affaire à une substance dont nous n'avons pas besoin, et les arguments de la recherche sont totalement convaincants. Connaissant la gravité de la maladie, moi, si j'étais un responsable de la santé publique, ça me suffirait pour faire une guerre acharnée contre les sucres purs.»

Les initiatives contre le sucre se multiplient déjà. Le 1er janvier 2012, la France a instauré une taxe sur les boissons gazeuses. En février, The Academy of Medical Royal Colleges, groupe représentant plus de 220 000 docteurs, a exigé qu'une taxe semblable soit mise en place en Grande-Bretagne. Le maire de New York continue de se battre pour interdire la vente de boissons sucrées de plus d'un demi-litre, un règlement adopté en septembre, puis annulé par un juge ce mois-ci.

Ces mesures ne vont pas assez loin, selon le Dr Garrel, qui croit qu'il serait plus efficace de «commencer par obliger les fabricants à mettre une étiquette, comme le tabac, par exemple: Attention: la consommation de sucre est liée au diabète, en grosses lettres, sur toutes les canettes de cola».

Au Québec, la Coalition québécoise sur la problématique du poids souhaite que le gouvernement institue une redevance sur les boissons sucrées, qui serait payée par les fabricants et réinvestie dans la communauté afin de favoriser l'accès à une saine alimentation. Elle souhaite aussi que la vente de boissons sucrées soit interdite dans les établissements sportifs et les lieux fréquentés par les jeunes, et qu'elle soit interdite partout aux moins de 18 ans.

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Quantité de sucre dans...
4 g = 1 c. à café

355 ml de Coca-Cola = 42 g, ou 10 c. à café

355 ml de jus d'orange = 34 g, ou 8 c. à café

500 ml d'eau vitaminée = 28 g, ou 7 c. à café

2 c. à table de ketchup = 8 g, ou 2 c. à café

2 tranches de pain blanc = 3 g, ou 1 c. à café

3/4 t. de yogourt nature = 5 g, ou 1 c. à café

3/4 t. de yogourt sans gras, à la vanille = 21 g, ou 5 c. à café

2 c. à soupe de beurre d'arachides = 2,5 g, ou 0,63 c. à café »