Un cadeau de trop...
Pour commencer la
nouvelle année, ma mère adoptive m’a offert un jouet. Nom d’un chat, ce cadeau
m’a mis en furie ! Elle me traite comme si j’avais six ans, moi qui en ai plus
du double. Est-ce qu’elle s’attend vraiment à ce que je joue avec ce chiot en peluche,
que je le mordille et que je l’envoie en l’air comme celui tout usé et bon pour
la poubelle à qui j’ai déjà arraché une oreille…? La pauvre, on voit bien qu’elle n’a aucune idée des
problèmes d’articulations qui sont les miens !
Je n’ai pas voulu
lui faire de peine, je ne lui ai pas dit qu’elle me déconsidère en me traitant
comme un enfant. Cette manie qu’elle a de m’attribuer des
sentiments humains, c’est de l’anthropomorphisme. Il est vrai que je n’ai
jamais lutté très fort pour la détromper, je me suis souvent prêté au jeu en
lui laissant croire que je suis heureux quand je ronronne, que je souris dans
mon sommeil, que je médite comme Bouddha même quand je suis en sacristie. Parce
qu’elle le désirait, j’ai appris à lire et à parler ; il m’arrive même de
rire aux éclats pour lui faire plaisir. Mais depuis que j’ai lu un article (*)
dénonçant ce trait détestable, je résiste mal à l’envie de lui faire comprendre
que je suis un chat. Certes doté d’une intelligence et d’un sens de la
réflexion remarquables, mais un animal quand même !
Je songe à imprimer cet article et à le laisser traîner dans le but qu’elle
le lise, elle changerait peut-être d’attitude avec moi. C’est quand j’ai
regardé le film Bestaire (** ***) de Denis Côté que j’ai constaté le
traitement sordide que réservent les humains aux animaux en captivité. Un film
qui ne juge pas, mais qui montre et « réagit à des décennies
d’anthropomorphisme». J’admets qu’une différence existe entre eux et moi :
je suis libre. Mais comme l’affirme Jean-Paul Sartre, «nous sommes condamnés à
être libres», ce qui n’est pas forcément un cadeau.
Reste que quand, pour passer ma colère, j’ai voulu faire un sort au joli chiot qu’elle m’a offert, ma
mère n’y a vu que du jeu ; rayonnante, elle s’est tournée vers mon père en
s’exclamant : «Regarde comme il apprécie mon cadeau, il est en train de le
mettre en pièces… ! »
L’article signé Charles Danten
*
À propos du film Bestiaire
**
*** Lien vers la bande annonce :