samedi 18 mai 2013

Le Québec dans nos assiettes, prise 3



Humeur réjouie: une mesure indispensable saluée par à peu près tout le monde.



Des choix dans votre assiette
Éditorial d’Ariane Krol publié dans La Presse, le 18 mai 2013

«La première ministre a beau parler de fierté et d’identité, la souveraineté alimentaire du gouvernement Marois est d’abord une politique économique.

Des aides financières plus généreuses et plus accessibles pour les jeunes qui se lancent en agriculture, des tarifs d’électricité réduits pour la production en serre, une politique d’achats publics privilégiant les produits locaux et des projets de loi pour protéger les terres agricoles de la spéculation : l’agroalimentaire québécois a eu droit à pas moins de quatre annonces jeudi.

Combien tout cela coûtera-t-il ? Impossible à dire pour l’instant, puisque seul le prix de la première mesure est clairement étiqueté : 3,8 millions de dollars pour la relève, puisés à même les fonds de la Financière agricole. On a hâte de voir le reste de la facture, surtout celle de l’électricité subventionnée.

Cela dit, investir dans l’agriculture et la transformation alimentaire est une stratégie tout à fait défendable. Ces secteurs sont des moteurs d’activité économique importants dans toutes les régions, y compris celle de Montréal. Ils sont donc très intéressants à développer. Miser sur la demande locale est la façon la plus logique et sans doute la plus rapide de le faire. Le tiers seulement des aliments consommés au Québec viennent d’ici. Le potentiel de croissance est donc bien réel. Ça ne passera pas par des bananes locales, évidemment, mais quand des maraîchers d’ici ne trouvent pas de place dans les supermarchés en pleine saison des récoltes, c’est clair qu’il y a place à l’amélioration.

Le ministre Gendron compte beaucoup sur les consommateurs pour convaincre les chaînes d’améliorer leur offre locale. De fait, ceux-ci sont de plus en plus nombreux à rechercher les produits québécois et à les réclamer s’ils ne les trouvent pas. Mais le prix demeure un critère important – le seul, même, pour beaucoup de gens. Il ne faut donc pas s’attendre à un transfert massif en faveur des aliments du Québec, du moins pas à court terme.

Heureusement, le ministre de l’Agriculture a une autre carte dans sa manche : une politique d’achats publics, promise d’ici la fin de l’année. Le gouvernement, notamment les établissements de santé et d’éducation, dépense des sommes considérables en alimentation. Donner la préférence aux fournisseurs locaux pourrait faire une différence importante, en particulier pour les transformateurs. Il faudra voir ce que Québec peut exiger sans contrevenir aux règles de commerce international et interprovincial, mais encore une fois, il est certain qu’on peut faire mieux.

En plus d’investir, Québec veut que l’agriculture ait priorité sur d’autres activités économiques, comme le développement immobilier. C’est un pas dans la bonne direction, mais il reste beaucoup à faire. Si on veut favoriser l’essor de l’agroalimentaire, il va notamment falloir repenser le programme d’assurance stabilisation – le nombre restreint de productions admissibles est une entrave majeure au développement.»

vendredi 17 mai 2013

Le Québec dans son assiette, prise 2




J’ai l’humeur dubitative ce matin en lisant ce  billet qui fait suite à la nouvelle que j’ai mise en ligne hier dans ces pages.

La « souveraineté alimentaire». Vraiment ?
Un billet de Feifei Chiang*



Radio-Canada a affirmé, mercredi, que le gouvernement du Québec planchait sur la possibilité d’avoir des incitatifs plus sérieux pour les géants de l’alimentation à s’approvisionner au Québec.

La manie du gouvernement Marois de vouloir insérer le mot « souveraineté » partout m'a presque fait rater une nouvelle que je qualifie d'importante. J'ai dû lire une deuxième fois pour comprendre de quoi il s'agissait.

En effet, au Québec, les supermarchés refusent systématiquement de s’approvisionner au Québec. Pire encore : les lois forcent ces supermarchés à afficher la provenance de leurs aliments, mais ceux-ci, plus souvent qu’autrement, refusent de le faire.
Mon expérience personnelle me dit que certains gérants de supermarchés prennent le mors aux dents lorsqu’on leur souligne le fait qu’ils ne respectent pas la loi. Allez-y, voir, faites le test : promenez-vous dans l’allée des fruits et légumes dans un Loblaws ou dans un Intermarché. Est-ce que la
provenance des fraises, des bleuets, des navets et des topinambours est écrite? Si non, jouez les trouble-fête, je vous en prie : allez au comptoir de service à la clientèle, demandez le gérant, et demandez-lui pourquoi les provenances ne sont pas clairement indiquées. Regardez-le tourner rouge, bleu, vert, crier et vous « inciter » à quitter les lieux. Allez-y, pour voir!

Économies de bouts de chandelle
Alors que certains y voient enfin une lueur de bon sens de la part de ce gouvernement mis à mal dans les sondages, d’autres affirment qu’il s’agit de protectionnisme rétrograde et même d’une forme de taxe cachée. Mais qui peut bien penser que « manger local » soit une mauvaise idée? Je vous le demande en toute sincérité : quelqu’un peut me donner un argument valide? Je ne comprends pas qui pourrait être contre.

Voyons voir, quels sont les points positifs à vouloir financer, aider, promouvoir et célébrer les agriculteurs locaux?
- L’économie des régions est, en très grande partie, basée sur l’agriculture. Ceci signifie qu’il y aurait enfin des emplois dans des endroits mis à mal par la conjoncture économique actuelle.
- Les pesticides et autres produits chimiques qui sont illégaux au Québec – illégaux puisqu’on sait qu’ils sont nocifs – ne le sont pas nécessairement aux États-Unis, en Amérique latine ou encore en Chine. On ne sait pas vraiment ce qu’on met dans notre bouche…
- La viande est traitée très différemment. On sait déjà que le porc est maltraité au Québec et qu’il le sera encore longtemps, mais on moins, on le sait. On n’a aucune idée des traitements réservés aux animaux en provenance de l’Argentine ou de l’Inde.
- Les agriculteurs locaux sont des gens fiers, qui travaillent plus fort que quiconque, et qui sont en difficulté financière pour la plupart. En fait, l’agriculteur est une espèce en voie de disparition. Leur sort est entre nos mains.
- On a parlé maintes et maintes fois, depuis une dizaine d’années, de la bouffe bio. Si on veut que les terres du Québec soient traitées « à la bio », il faudrait, fort probablement acheter leurs produits.
- Le transport d’aliments est un sérieux problème. Par bateau, par avion, par train, par camion : tous brûlent des centaines de milliers de barils de pétrole par année. Ceci pose problème pour l’environnement et pour l’économie, bien entendu, mais aussi pour l’armée canadienne : par exemple, le pétrole brûlé au Québec vient, en grande partie, d’Algérie. Vous souvenez-vous de la prise d’otages de terroristes en janvier dernier? Aussi, Al-Qaida au Maghreb est bien implanté en Algérie – en fait, ses racines s’y trouvent.
Bien entendu, cette liste est non-exhaustive. En fait, je vous mets au défi, chers lecteurs, d’en trouver d’autres et de les ajouter aux commentaires au bas de cette page.
Et puis, si le gouvernement du Québec pouvait, du même coup, changer son fusil d’épaule au sujet de l’étiquetage OGM… Mais bon, je rêve probablement en couleurs.

Pas seulement les fruits et légumes
Mais cette situation est d’autant plus probante lorsqu’on pense à la viande. Les petits producteurs de bœuf d’Estrie (et de tout le Québec) souffrent sérieusement, au point où plusieurs observateurs se demandent si l’industrie ne serait pas à l’agonie. Entre autres problèmes, ils en ont un géant sur les bras, causé par les amis de Jean Charest avec l’affaire de l’abattoir Levinoff-Colbex, et ce scandale va continuer à leur coûter très cher durant les années à venir.
Aussi, la provenance des viandes emballées par les supermarchés n’est que très rarement affichée. Le gouvernement forcera-t-il l’industrie à changer cette pratique? Cette incongruité est malheureusement une sérieuse épine dans le pied de la crédibilité du gouvernement Marois sur ce projet de bouffe locale, qui n’est, rappelons-le, qu’à l’étape d’idée.
Le bœuf de l’Alberta, le porc du Vermont, le lait et les œufs d’Ontario…
Mais ce qui frappe le plus, c’est à quel point le marché de l’agneau et inondé de viande en provenance de Nouvelle-Zélande.
L’agneau du Québec – entre autres celui de Charlevoix, internationalement reconnu – est presqu’absent des tablettes des géants de l’alimentation. L’agneau congelé et décongelé venant de Nouvelle-Zélande – à une distance de près de 15 000 kilomètres, rappelons-le – est partout, moins cher, emballé sous vide et l’objet de maintes et maintes promotions dans les circulaires des Provigo et Super C de ce monde.

Une nouvelle mode frappe présentement Montréal : celle du restaurant qui offre des produits locaux – bières, vins, viandes, fruits et légumes – concoctés à l’aide de techniques locales venant de chefs québécois – Martin Picard, David McMillan – et cette mode locavore fait la renommée du Québec dans le monde. La preuve? Anthony Bourdain consacrait en avril dernier une émission d’une heure sur les mérites de la cuisine et des produits du terroir québécois. Cependant, les ménages québécois continuent de manger des produits venant de l’autre bout du monde.
Oui, le gouvernement québécois fait bien d’explorer cette avenue. En fait, celui-ci est probablement quinze ans en retard.

* Feifei Chiang
Chinoise, Québécoise, Pékinoise, Montréalaise, Canadienne, étudiante à la maîtrise en communications à l'université Northwestern de Chicago, Feifei Chiang passe son temps à apprendre, à questionner, à contester et à être contestée. Elle se passionne pour l'actualité sous toutes ses formes.


jeudi 16 mai 2013

Partage gourmand de ma voisine

Autre bonheur du jour, ma voisine m'a donné l'appréciation d'une recette qu'elle a essayée, la quiche sans croûte, riz, épinards et tomates séchées.  






Et elle m'a également transmis la photo que voici.



Merci, voisine! 
Grâce à Facebook, nous nous sommes découvert deux passions communes, 
une pour la  cuisine, l'autre pour la photo. 
Bienvenue dans le clan des gourmands !

Une initiative réjouissante




Humeur souriante ce matin, une nouvelle réjouissante autant pour les consommateurs que pour les agriculteurs québécois.

Offensive de Québec pour la souveraineté alimentaire

Le gouvernement de Pauline Marois entend inciter les grandes chaînes alimentaires à s'approvisionner davantage au Québec et mieux protéger les terres agricoles, selon les informations obtenues par Radio-Canada à la veille de la présentation de la politique de souveraineté alimentaire par le ministre de l'Agriculture, François Gendron.

Le gouvernement du Québec incitera les réseaux de distribution tels que Métro, Provigo et IGA à se doter d'une politique d'approvisionnement de produits alimentaires québécois afin de promouvoir l'achat de produits locaux sur le marché québécois.

En plus des initiatives personnelles, Québec entend appliquer cet objectif à ses institutions publiques. Par exemple, le gouvernement insistera pour que les dizaines de millions de repas servis dans les hôpitaux du Québec chaque année soient préparés avec des produits québécois.

Lors de la présentation de la politique sur la souveraineté alimentaire, le ministre de l'Agriculture insistera aussi sur la protection des terres agricoles alors que l'étalement urbain gruge des milliers d'hectares de terres fertiles chaque année.

Le gouvernement Marois entend aussi s'assurer que ces terres demeurent entre les mains des agriculteurs. À cet effet, Québec veut modifier la loi sur l'acquisition des terres par des non-résidents. De son côté, l'Union des producteurs agricoles (UPA) fait aussi pression pour qu'une société d'État soit créée afin de bloquer la voie aux spéculateurs.

Québec souhaite par ailleurs appuyer la relève et prévoit plusieurs mesures en ce sens, dont une démarche d'accompagnement pour aider les agriculteurs à s'adapter aux changements et à augmenter leur rentabilité.
Après avoir présenté sa politique de souveraineté alimentaire, Québec devra élaborer ses plans d'action afin de la mettre en oeuvre.

Selon les informations de Martine Biron

mercredi 15 mai 2013

Propos sur le bonheur



Le bonheur, c'est le silence du malheur. 
Jules Renard

Les quatre piliers du bonheur
Article de Michel Lejoyeux publié dans Psychologies, le 3 mai 2013

Le bonheur est une question sérieuse. Psychologues et philosophes nous donnent des idées pour l'atteindre. Gary Gutting, professeur de philosophie à l’université de Notre-Dame, donne quelques pistes dans le New-York Times. Le bonheur dépend de quatre piliers :

Le premier est l’impression de chance 
Il faut avoir l’impression que l’on s’en sort plutôt bien face au destin pour ressentir le bonheur. Cela recouvre la sensation, réelle ou imaginaire, d’avoir des conditions financières et de sécurité suffisantes. Le stoïcisme, c'est-à-dire la capacité à s’adapter à ce qui ne nous plait pas est une manière de se sentir protégé par le destin.. Les stoïciens classiques, par exemple, vous demandaient d’adapter vos désirs à ce que vous pouvez obtenir. Ils suggéraient aussi d’accepter les douleurs que vous ne pouvez éviter. Cette approche stoïcienne touche vite à ses limites. Elle peut réduire les difficultés, mais elle ne donne pas vraiment le bonheur. Il en est de même de certaines pratiques religieuses qui sont fondées sur l’espoir, l’espoir par exemple d’un monde meilleur. Elles autorisent la possibilité d’un bonheur ultérieur, sans vraiment faire accéder au bonheur actuel.

Le deuxième pilier du bonheur est le sens de la vie 
L’idée que Voltaire avait donnée du bonheur reste d’actualité, avec son livre Candide. Vous vous rappelez de sa dernière phrase « Il faut cultiver son jardin ». Trouver une activité qui donne du sens à sa vie reste une voie d’accès particulièrement utile au bonheur. Un travail dans lequel on se réalise est donc, avec l’impression de chance, la deuxième piste du bonheur. Le développement économique ne facilite pas la recherche d’un travail heureux. Il valorise plus les emplois à forte rémunération que les emplois permettant de se réaliser. Les enfants risquent d’apprendre très tôt la re cherche plutôt de la gloire, de l’argent, d’une visibilité sociale. Ils délaissent les emplois qui sont susceptibles de donner du sens à leur vie. Il y a donc une sorte d’antagonisme entre la logique « capitaliste » du travail et sa logique psychologique. L’idéal serait de voir se rejoindre les deux et d’imaginer que les emplois les plus gratifiants soient aussi les plus qualifiés et utiles… mais là nous touchons à l’utopie.

Une troisième caractéristique du bonheur vient de la Grèce Antique. Il s’agit du bon usage du plaisir
Le plaisir, au sens où l’entend Gary Gutting, n’est pas seulement la satisfaction des sens. Le plaisir peut être aussi l’impression d’être utile à ses proches, l’impression de s’engager dans une cause qui nous dépasse. Le danger moderne est ce que Gary Gutting appelle la corruption hédonique du plaisir qui deviendrait une sorte de satisfaction quantifiable, industrielle, un peu comme l’argent.

La dernière composante du bonheur est l’amour
L’amour que l’on peut porter à son mari ou sa femme, ses enfants, ses amis et peut-être à toute l’humanité. Cet amour mène à la forme la plus ultime du plaisir donnant un sens à la vie.

On peut trouver ces paroles un peu théoriques ou trop élevées. Elles n’en sont cependant pas moins utiles dans une période d’intense recherche matérialiste.

mardi 14 mai 2013

lundi 13 mai 2013

Bonheur de lecture




« Vient un temps ou le risque de rester à l’étroit dans un bourgeon
 est plus dangereux que le risque d’éclore. »

Anaïs Nin

Humeur irritée ce matin. Voici un incident que Madeleine Gagnon raconte dans son remarquable récit autobiographique Depuis toujours qui fait mon bonheur de lecture en ce moment. Cela se passe en 1960, à la Faculté de philosophie de l’Université de Montréal.
Extrait, page 67 et 68.

« Cette année-la aussi, ma conscience de l’injustice fut une autre fois mise à l’épreuve. L’un des professeurs nous avertit dès le premier cours qu’il ne donnerait jamais plus de 70 % au travail d’une fille, quelle qu’en soit la valeur. Bon. Il y eut un silence. Puis, quelqu’un a osé, d’une voix timide, demander pourquoi. Le professeur sembla surpris, mit un peu de temps à répondre et dit : «Parce que tout le monde sait que les filles ne viennent pas en philosophie à l’université pour étudier, mais pour trouver un mari ! » Cela dit sur le ton autoritaire des vérités évidentes. Nous n’avons rien dit. Nous étions stupéfaits. Une partie de nos cerveaux se trouvait dans l’état d’esprit aliénant, sexiste et machiste, qui nous enveloppait tous et toutes. En effet les meilleurs travaux des filles reçurent la note de 70 % alors que les meilleurs travaux des garçons obtinrent de 80 % à 90 %. Nous avons reçu nos notes et n’avons rien dit. C’était comme ça. C’était ainsi quand la Terre était carrée et non ronde. C’était ainsi et on n’en parlait plus. Point. Je crois bien que mes premières ébauches de pensées féministes naquirent là. En 1960 au Québec. À l’orée de la Révolution tranquille. »


dimanche 12 mai 2013

Jour de fête !


Ces petites tasses aux teintes douces et aux motifs délicats, ma belle-maman les conservait dans une armoire vitrée et les réservait aux jours de fête. Cette fière dame qui m'a offert deux de ses précieuses tasses aura 101 ans le mois prochain. Bonne fête, belle-maman !


Les tasses de thé
Chronique de Stéphane Laporte publiée dans La Presse, le 11 mai 2013

« C’est le dimanche de la fête des Mères 1970. On fête maman, ou plutôt maman se fête. Elle a tout fait le repas, de l’entrée jusqu’au dessert. Et nous l’a servi, comme elle nous le sert tout le temps, jours ordinaires ou jours anniversaires.

Elle arrive avec le gâteau qu’elle place devant elle. Nous, on a juste à chanter bonne fête maman. Ma mère souffle la chandelle et mon père s’allume une cigarette, en disant : Je prendrais bien un café...

Ma mère se lève pour faire bouillir de l’eau, puis elle s’approche de l’armoire vitrée au bout de la table :  Quelqu’un veut du thé ? Mes tantes disent oui, ma soeur aussi. Et moi de même. Normalement, je bois du lait. Sauf les soirs de fête, parce que les soirs de fête, on a droit aux tasses spéciales.

Dans l’armoire vitrée, il y a le trésor de ma mère : ses tasses de fantaisie.
Elle a reçu la première de mon oncle André et de ma tante Louise, lors de ses fiançailles avec mon père. Puis ses amies lui ont donné les autres, en cadeau de mariage. Il y en a une bonne douzaine. Des tasses en porcelaine anglaise, ornées de motifs de fleurs, venant de chez Birk’s. Tout ce qui est doré sur la tasse est en fines feuilles d’or, parole de maman.

Elles ne valent pas une fortune. Loin de là. Elles valent mieux que ça. Elles valent l’attention qu’on leur porte. Parce que ma mère les trouve belles.

D’habitude, elles sont si précieuses qu’elles servent de décorations.
Mais ce soir, on peut boire dans les décorations. Wow ! J’ai ma préférée, c’est celle avec une grosse rose dessus, et tout plein d’or autour. Le thé qu’on y verse est le même que les jours gris, sauf qu’on dirait qu’il goûte meilleur. Il faut le boire avec délicatesse, en tenant la tasse par l’anse élégamment. Ma mère m’a montré comment.
Mon père est déjà en train de faire la vaisselle. On n’a pas fini notre dernière gorgée, qu’il nous ravit notre tasse. Ma mère s’interpose :  Laisse Bertrand, je vais les laver moi-même, plus tard. Elle ne veut pas qu’il les brise. Mon père n’est pas très délicat. Il est plus plastique que porcelaine.

Ma mère en a pris grand soin de ses tasses. Pas autant que de nous, mais presque. Elles ont traversé le temps.

Il y a huit ans, quand j’ai présenté ma Marie-Pier à ma mère, c’était un soir de mars frisquet, comme tous les autres. Il n’y avait que ma soeur, ma mère et nous deux, autour de la grande table, mon frère faisant médecin au Nouveau-Brunswick et mon père fumant au ciel. À la fin du repas, ma mère s’est levée et a dit à ma blonde :  Je suis tellement contente de te connaître, je vais sortir mes belles tasses. Et soudain, ce fut la fête.

Ces petites tasses qu’on dirait sorties d’un service de poupées, c’est la coupe Stanley de ma mère. Le symbole de toutes les fêtes réussies, vécues chez nous, dans la maison familiale. Ç’avait beau être Noël, les Rois, la St-Valentin, Pâques, l’Ascension, la fête des Mères, la fête des Pères la Saint-Jean, la fête du Travail, l’Action de grâce, la Sainte-Catherine, la fête des parents, la fête des enfants, la fête des amis des enfants, la fête des blondes et des chums des enfants, la fête des enfants des enfants, c’était toujours ma mère qui recevait. On n’allait jamais au restaurant. C’était toujours à la maison. Des plats faits avec amour, ça ne se trouve pas ailleurs. Parce que c’est là qu’il est l’amour. Ma mère passait ses journées à tout préparer, à tout cuisiner, à tout installer. Et ses soirées à tout servir, à tout ramasser.

Ne la plaignez pas, ça lui manque tellement.
Aujourd’hui, ma mère n’a plus la force de recevoir. Elle va avoir 90 ans dans deux semaines. Elle fait sa dialyse rénale 4 fois par jour à domicile. Les fêtes, c’est ma soeur, ma belle-soeur et ma blonde qui s’en occupent. Le mâle dans ma famille n’est pas très Louis-François Marcotte. La seule sortie de ma mère, c’est venir chez moi, célébrer de temps en temps.

Elle est venue il y a quelques semaines, lors de l’anniversaire de Marie-Pier. Elle lui a donné, en cadeau, quatre tasses de sa collection. Pas des répliques. Les vraies. Celles de mon enfance. Dont la grosse rose bordée d’or. Ma blonde a fait installer dans la salle à manger une toute petite armoire vitrée pour les mettre. Pour que ces tasses décorent les petits jours et abreuvent les grands soirs.

Demain, ma mère vient se faire fêter. Marie-Pier va tout préparer. Et au dessert, c’est certain, on va boire notre thé dans les tasses en porcelaine anglaise. Et on trinquera à tous les repas que ma mère a servis. Jours de fête et jours d’ouvrage. Avec ou sans les feuilles d’or, le temps les a tous rendus spéciaux. Parce qu’ils ne reviendront jamais.
Bonne fête des Mères à toutes les mamans ! »