Une chronique de
Pierre Foglia, publiée dans La Presse, le 28 février 2013
Beef, bifteck
«On a ri des
ayatollahs de l'Office québécois de la langue française (OQLF) qui veulent
remplacer steak par bifteck, pasta par je ne sais quoi et autres corrections
ridicules. On a ri parce que c'est drôle, mais j'aimerais ajouter qu'il y a là
autant à pleurer, peut-être même plus à pleurer qu'à rire.
La question
s'adresse aux inspecteurs de l'Office: ça vous amuse de donner des munitions
aux anglos? Déjà, ils sont convaincus que vous êtes des flics - la police de la
langue. Était-ce bien nécessaire de leur confirmer que non seulement vous êtes
des flics, mais des flics idiots? Même le National Post n'osait pas vous
imaginer aussi hystériques.
Si j'étais du
genre à donner dans les complots, savez-vous que je vous soupçonnerais de
sabotage? Vouloir tourner en dérision les lois et règlements linguistiques du
Québec, c'est exactement comme ça que je m'y prendrais: en exigeant qu'on dise
bifteck au lieu de steak, qu'on dise pâtes alimentaires au lieu de pasta, soupe
aux légumes au lieu de minestrone.
Ce qui fait
pleurer après avoir fait rire, c'est que ces dérapages discréditent l'OQLF,
chargé de faire appliquer des politiques linguistiques dont dépend, in fine, la
survie de notre langue et, au-delà de la langue, de la culture. C'est hyper
important, c'est aussi délicat, compliqué. Bref, on est dans un magasin de
porcelaine, ce n'est pas une bonne idée d'y faire entrer des connards
d'éléphants.
Ces dérapages, le
Mouvement Québec français les attribuait hier... aux médias! Cela n'a pas été
dit, mais je crois l'avoir entendu quand même: il y a sûrement du Power Corp
là-dessous.
C'est pas les
médias, nono. C'est la tatane au bifteck. Elle ferait capoter à elle toute
seule - s'il n'était pas déjà mort-né - le projet de loi 14 qui se propose
d'imposer le français comme seule langue de travail dans les commerces de plus
26 employés (50 présentement). Beaucoup plus important, le projet de loi 14
imposerait un examen de français aux élèves anglophones à la fin du secondaire
et du cégep. Et plus important encore, le projet de loi 14 remettrait en
question encore une fois le statut bilingue des municipalités qui comptent
moins de 50% d'anglophones.
Il est là, le
beef. Pas dans le steak ou le bifteck. Dans le renforcement du statut du
français. Il est aussi, le beef, dans la dénonciation du bilinguisme officiel,
cette tarte à la crème de la paix linguistique. Je t'aime, I love you. Et mon
cul, c'est du poulet? And my ass? Is what? Chicken?
LA COULEUR DU
TEMPS –
J'ai mal à mon
Italie - mais oui, j'ai voté -, j'ai mal à mon Italie qui a presque ramené
Silvio Berlusconi au pouvoir et donné tant d'importance à ce Beppe Grillo qui a
la haine de l'Europe. On dit du Coluche italien qu'il est plus de gauche que de
droite. Je l'ai entendu une fois dans un discours-fleuve, et ce type-là n'est
ni de gauche ni de droite, il est du fond du baril. Dans ce discours-là, il
fouaillait l'ordure, pipi, caca, bite et con. Les gens, une foule énorme, en
redemandaient, bien sûr.
J'ai mal à mon
Italie, mais bon, pas tant que ça, j'ai l'habitude. Je ne connais pas d'autre
pays où la beauté est aussi intimement liée à l'ordure, la bêtise au
raffinement, la poésie au ricanement; de pays qui a accouché de plus de potentats,
mais qui a aussi donné Trieste au monde, Trieste et Umberto Saba: «La couleur
du temps n'est pas donnée par les événements du jour.»
La couleur de
l'Italie non plus.
LA VICTIME –
Texte troublant
dans les pages opinions de La Presse de mardi: une jeune femme de 29 ans
raconte le hold-up dont elle a été victime dans un Dunkin Donuts alors qu'elle
avait 16 ans. Trois hommes cagoulés défoncent une porte à coups de hache pour
s'emparer du coffre-fort sans cesser de la menacer. «J'ai fait des cauchemars pendant
des années, incapable de me promener dans les rues, d'aller au restaurant,
revivant constamment cette nuit de terreur... Mes agresseurs ne savent pas à
quel point ils ont détruit en partie ma vie en quelques minutes cette
nuit-là...»
À la fin de son
histoire, qui est presque aussi la fin de l'article, changement soudain de
registre: «Les gens qui ont une mauvaise opinion des policiers pour
l'arrestation musclée de Trois-Rivières devraient s'attarder à mon histoire...
L'agresseur n'est jamais une victime, il - le jeune homme de Trois-Rivières -
se remettra de ses quelques bleus...»
Je viens de revoir
la vidéo de l'arrestation du jeune bandit de Trois-Rivières, il est allongé sur
le sol, les bras en croix, quatre flics foncent dessus, le frappent sauvagement
à coups de botte, à coups de poing, le tabassent sans aucune raison que le
plaisir de tabasser et, évidemment, leurs rapports disent que le suspect a
résisté.
La jeune femme
juxtapose son histoire à celle-ci d'extrême violence policière. Ne pleurez pas,
nous dit-elle, c'est rien qu'un bandit. Moi, je suis une victime, pas lui.
Mettons,
mademoiselle. C'est pas une victime. Donc on a le droit de le tuer à coups de
pied?
C'EST MONTRÉAL
AUSSI –
Un quartier où je
ne vais pas souvent. J'entre dans cette épicerie disons ethnique... sûrement
juive, me dis-je, c'est quoi ça?
Des galettes de
pommes de terre, me répond le monsieur derrière le comptoir.
Mettez-m'en
quatre. C'est juif?
Non, monsieur,
c'est pas juif. C'est allemand. Les juifs nous l'ont volé - comme le reste! -
mais c'est allemand...
Comme le reste?
Tout d'un coup, je
le vois pâlir. Vous êtes juif? me demande-t-il.
Je l'ai laissé
mariner sans répondre. La prochaine fois, ducon, je la nomme, ta crisse
d'épicerie. Les galettes étaient bonnes, au moins ça.»