Prendre son temps
Un article publié
dans Psychologie.com
Gare à la
précipitation ! Avoir la patience de s’écouter, de ressentir, de laisser monter
en soi le désir d’agir est une étape cruciale. Petite leçon de pause
bienfaitrice.
Jacqueline Kelen
Jacqueline Kelen
est écrivaine. Spécialiste des mythes, elle est l’auteure, entre autres, de
L’Esprit de solitude (Albin Michel, 2005) et d’Inventaire vagabond du bonheur
(Albin Michel, “Espaces libres”, 2008).
«Ne demande pas
ton chemin, tu ne pourrais pas t’égarer », disait rabbi Nahman de Bratslav,
grande figure du hassidisme. Le conseil peut paraître extravagant à nos
contemporains, obsédés par l’efficacité, les résultats rapides et le profit
immédiat, qui, à force de courir, s’éparpillent et se perdent. Si la
connaissance de soi et la réalisation de soi sont plus et mieux que trouver un
emploi ou encore un hôtel pour la nuit, si elles concernent la vie entière
d’une personne, le temps représente le matériau indispensable pour édifier la
demeure intérieure, et d’abord en assurer les fondations.
Prendre son temps,
ce n’est pas ne rien faire, mais partir à l’aventure : se découvrir, apprécier
ses ressources personnelles, mesurer ses faiblesses, développer des qualités
(écoute, patience, attention, discernement), étudier et approfondir toute
chose. C’est aussi prendre du recul et de la hauteur par rapport au quotidien,
aux modes et modèles imposés. C’est la voie d’apprentissage de la liberté.
Rien de bon ne
survient dans la précipitation, qui s’avère souvent convoitise. On connaît
l’histoire du roi Midas qui, pour avoir rendu un grand service au dieu Bacchus,
obtint de formuler un vœu : sans réfléchir, Midas demanda que tout ce que son
corps toucherait se transformât en or. Et le roi infantile se réjouit,
changeant à son gré un caillou, une branche en or, jusqu’au moment où il eut
faim. Mais à son contact, les mets et les boissons devenaient métal précieux,
immangeables. Et Midas supplia le dieu de le délivrer de ce pouvoir empoisonné.
La voie
buissonnière paraît hasardeuse, risquée, mais elle est ouverte, dynamique,
propice à l’inattendu, aux rencontres étonnantes. Déjà, ce temps de recul et de
réflexion permet de se dégager des divers conditionnements et de ses propres
illusions. Devenir soi, c’est d’abord ne pas imiter, ne pas suivre ni répéter,
mais creuser sa propre route. Se pose alors la question majeure, capable
d’orienter toute une vie : quel est mon désir essentiel ? Ce n’est pas :
comment répondre à la demande, faire plaisir à mes proches, me conformer à ce
que l’on attend de moi ? Ce désir, propre à chacun, ouvre de larges horizons.
Comme l’affirment tous les mystiques, c’est la soif qui fait surgir la source.
Rester en silence,
fermer les yeux, écouter, ce n’est pas s’enfermer, se couper des autres et du
monde, mais aller vers l’intérieur, devenir attentif et disponible; c’est
entendre sa petite musique à nulle autre pareille, accueillir les signes et les
songes qui, pour l’âme, sont plus fiables que les cartes routières et les GPS.
Ainsi, dans la légende de Tristan et Iseut, le roi Marc refuse de se marier,
malgré l’insistance de ses barons qui lui désignent de bons partis. Un jour,
par la fenêtre ouverte, entre une hirondelle qui dépose sur l’épaule du roi un
long cheveu blond étincelant au soleil. Le roi déclare que la femme qu’il
épousera est celle à qui appartient ce cheveu. Et il la trouvera.
Il n’est pas si
aisé de ne pas se presser : il faut résister au rythme ambiant et faire preuve
d’une belle patience. Je me demande si la vertu de patience est comprise de nos
jours, on la ressent plutôt comme une restriction, une résignation, une vie à
petit feu. Or, la patience est la mise à l’épreuve de la ferveur, elle permet
de maintenir et d’affiner le désir. « Patiente, ô mon cœur », murmure à
soi-même Ulysse, alors tout près du but puisqu’il est parvenu, après vingt ans
de tourments et d’absence, à son île d’Ithaque où demeure Pénélope. Une colère
intempestive, un instant d’inattention risquent de détruire toute son
entreprise et de l’éloigner d’un amour si longtemps attendu.
Laisser le temps
faire son œuvre est d’une grande sagesse sur laquelle toutes les traditions
s’accordent. Lao-tseu énonce : « Le grand carré n’a pas d’angles, le grand vase
est long à parfaire, la grande musique est au-delà du son. » L’Évangile rappelle
qu’avant de bâtir une tour, il est bon de s’asseoir et de méditer afin d’aller
jusqu’au bout de sa tâche. C’est encore l’adage cher aux humanistes de la
Renaissance, festina lente (« hâte-toi lentement »); ou l’exemple de Socrate
qui, condamné à mort, prend le temps de réunir ses amis et converse
paisiblement avec eux tandis que la ciguë gagne son corps, mais n’atteint pas
son âme immortelle. C’est, plus légère, l’histoire du moine zen parti se
promener dans la montagne. À son retour, le disciple intrigué et zélé demande
avec insistance où le maître est allé, quel chemin il a emprunté. Et le moine
répond simplement : « J’ai suivi l’odeur des fleurs du chemin et j’ai flâné au
gré des jeunes pousses… »
La vie est vaste,
si vaste. C’est nous, souvent, avec nos projets, nos calculs et nos plans, qui
la rapetissons, la rendons triste et ennuyeuse. Se réaliser, c’est aussi
respirer le parfum des fleurs et aller dans le vent.
L’analyse de
Michel Lacroix
«Prendre son temps
est capital, car c’est ce qui permettra de bien choisir. Et si je ne choisis
pas, je reste dans le virtuel et dans le rêve adolescent du “tout est
possible”. L’existence se construit essentiellement à travers nos choix : choix
d’un conjoint, d’un métier, d’un lieu de vie… Le philosophe Soren Kierkegaard
parle d’ailleurs du “baptême du choix” pour expliquer que notre personnalité
est fouettée, dynamitée à partir du moment où nous avons choisi. Mais là où le
philosophe me semble imprudent, c’est qu’il ajoute que tout choix est bon. Je
pense le contraire. Dès lors, choisir demande un grand discernement, donc de
prendre le temps de la réflexion et de la maturation. Le temps de laisser
monter en soi les désirs profonds. Cela n’empêche pas de se tromper de voie,
mais au moins le choix aura-t-il été fait en conscience. C’est cela aussi,
s’inventer. »
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