L'arrivée du printemps
« Si l'on pouvait croiser l'homme avec le chat,
ça améliorerait l'homme mais ça dégraderait le chat. »
Mark Twain
Je suis sorti ce matin. Le jour n’était même pas levé, ma mère l’était
depuis un bon moment, elle m’a dit : il fait doux Messidor, elle a ouvert
la porte, j’ai avancé précautionneusement dans le noir, j’étais dehors.
Je ne me suis même pas mouillé les pattes, les marches étaient sèches,
presque plus de neige au sol, à peine quelques traces. Je suis resté à humer
l’air froid et à écouter la terre avaler les restes de l’hiver. Il y a toutes
sortes de silences, celui-là était assourdissant. J’ai écouté un long moment la
symphonie muette, méditative, pénétrante, apaisante.
Puis des sons aigus ont jailli au loin, un cri puissant a déchiré le
silence, puis un autre et un autre encore. Des bernaches, venant du Sud, par
longues bandes bruyantes, traçaient un grand V dans le ciel encore sombre,
j’entendais le vif battement de leurs ailes, je voyais des lignes noires et
fuyantes dans le bleu profond. Elles voyagent aussi la nuit, me suis-je dit,
admiratif, songeant au long voyage qu’elles entreprennent. J’ai pensé à
l’énergie qu’il leur faut, à la force de leur désir, à l’instinct qui les
pousse à revenir chez nous lorsque le fleuve fait fondre ses glaces, lorsque le
vert mousse s’apprête à recouvrir au sol les feuilles roussies par le froid.
C’est en me rappelant cette dure saison qui s’achevait enfin que j’ai
aperçu Ti-Guy, le chat de nos jeunes voisins. Je vous en ai déjà parlé, c’est
mon ami. C’était mon ami, nous avons eu un froid qui a duré tout l’hiver.
J’avais eu des mots blessants, il en avait eu à son tour, que je lui ai
pardonnés, mais pas lui. Je me suis demandé si la colère l’avait enfin lâché et
s’il me gardait rancune. Il est passé devant moi sans me regarder avec une
nonchalance étudiée, peut-être faisait-il mine de ne pas me voir. J’étais tapi
dans l’ombre, assis, immobile, invisible à ses yeux. Une autre volée de
bernaches a vrillé le ciel au-dessus de nous, nous avons levé la tête en même
temps et c’est alors qu’il m’a aperçu, je l’ai vu sursauter.
Au lieu de poursuivre sa route, il a fait demi-tour et s’est dirigé droit
sur moi. Je ne bougeais pas, je l’ai laissé s’approcher sans rien dire. Il
s’est arrêté, il n’était plus qu’à un mètre de distance, il a gravi une marche,
puis une autre, s’est assis sur la troisième, celle où je me tenais, tout près
de la porte, nous étions à présent côte à côte. Alors, il a eu ce geste
d’apaisement, il s’est allongé.
Et dans le silence du petit matin, nous sommes restés là, à contempler le
retour des bernaches, moi assis, lui étendu, ses pattes sous lui. Il n’y avait
plus de colère, plus de rancune, plus de mots.
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Ti-Guy, avril 2014 |