samedi 27 août 2022

Jour 185 - Centrale nucléaire raccordée



 Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a pressé l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) d’envoyer au plus vite une mission à la centrale nucléaire de Zaporijjia, rebranchée vendredi sur le réseau électrique après une coupure totale la veille imputée aux Russes. 

« Nos scientifiques, tous les spécialistes du secteur de l’énergie réussissent à préserver la centrale nucléaire de Zaporijjia du scénario du pire vers lequel poussent en permanence les forces russes », a déclaré M. Zelensky dans son message vidéo quotidien, notant que la centrale avait été reconnectée au réseau. 

« Je veux souligner que la situation reste très risquée et dangereuse », a-t-il ajouté, « c’est pourquoi il est si important que la mission de l’AIEA arrive à la centrale aussi tôt que possible et aide à la maintenir sous contrôle ukrainien », a-t-il ajouté.»
 

Les autorités avaient annoncé jeudi que la centrale, la plus grande d’Europe avec ses six réacteurs de 1000 mégawatts chacun, s’était trouvée « totalement déconnectée » du réseau national à cause de dommages sur les lignes électriques provoqués par les soldats russes. 

Inquiétudes 
La sécurité de ces installations, situées près de la ligne de front dans le Sud, préoccupe la communauté internationale depuis qu’elles sont passées aux mains des militaires russes début mars. La tension est encore montée ces dernières semaines, Moscou et Kiev s’imputant mutuellement la responsabilité de frappes sur le site, où les militaires ukrainiens accusent l’armée russe d’avoir positionné des pièces d’artilleries pour pilonner leurs positions. 

 « Un des réacteurs de la centrale de Zaporijjia arrêtés la veille a été reconnecté au réseau électrique aujourd’hui » à 14 h 04, a annoncé l’opérateur ukrainien Energoatom. Il « produit de l’électricité pour les besoins de l’Ukraine » et « l’augmentation de [sa] puissance est en cours ». 

 Energoatom a en outre assuré que les systèmes de sécurité du site fonctionnaient normalement. 

 Les autorités d’occupation d’Energodar, la ville dont dépend la centrale, ont quant à elles de nouveau affirmé vendredi que les troupes ukrainiennes avaient bombardé Zaporijjia. 

L’ONU a appelé à mettre en place une zone démilitarisée autour de la centrale pour la sécuriser et à permettre l’envoi d’une mission d’inspection internationale. 

 Des experts de l’AIEA y sont attendus « la semaine prochaine », selon la conseillère du ministre ukrainien de l’Énergie Lana Zerkal, qui a reproché aux Russes d’« artificiellement créer des obstacles » à cette mission, ce que Moscou nie. 

 « Nous ne pouvons nous permettre de perdre davantage de temps », avait déclaré jeudi le directeur général de l’AIEA Mariano Grossi, relevant qu’il y avait un « risque très réel de catastrophe nucléaire ». 

Thibault Marchand et Joe Stenson 
Agence France-Presse 
Le Devoir, 26 août 2022 

 


vendredi 26 août 2022

Jour 184 - «Aux portes d’une catastrophe nucléaire »



La centrale nucléaire de Zaporijjia, située en zone occupée, dans le sud de l’Ukraine, a été « déconnectée » jeudi du réseau ukrainien, selon l’opérateur local. Les États-Unis mettent en garde la Russie contre un détournement de l’énergie produite, qui serait « inacceptable ».

 Le président russe, Vladimir Poutine, a signé le même jour un décret ordonnant l’augmentation de 10 % (+ 137 000 soldats) du nombre de militaires que compte l’armée, en pleine offensive contre l’Ukraine et sur fond de tensions croissantes avec les pays occidentaux. 

 Au centre de toutes les inquiétudes en raison de bombardements dont s’accusent mutuellement Russes et Ukrainiens, la centrale de Zaporijjia s’est trouvée « totalement déconnectée » du réseau après des dommages aux lignes électriques causés par des incendies, a annoncé la compagnie d’État ukrainienne Energoatom. Elle a précisé que les installations nucléaires restaient alimentées par la centrale thermique voisine. 

 « Aux portes d’une catastrophe » 
« La Russie a mis les Ukrainiens, tout comme l’ensemble des Européens, aux portes d’une catastrophe nucléaire », a déclaré dans la soirée le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. « Les Ukrainiens doivent savoir que nous faisons tout ce que nous pouvons pour éviter un scénario catastrophe. Mais cela ne dépend pas que de nous », a-t-il fait valoir. 

 M. Zelensky a estimé que « la réaction de l’AIEA [Agence internationale de l’énergie atomique] devrait être beaucoup plus rapide qu’elle ne l’est ». L’AIEA a dit avoir été « informée par l’Ukraine » de cette perte de connexion. 

« Mais [la centrale] est actuellement en marche », a-t-elle souligné, confirmant qu’elle « reste connectée » à partir de « la centrale thermique voisine, qui peut fournir de l’électricité de secours ». 

 La diplomatie américaine a indiqué jeudi que toute tentative de Moscou de détourner l’énergie nucléaire de l’Ukraine serait « inacceptable » « L’électricité qu’elle produit appartient de droit à l’Ukraine, et toute tentative de déconnecter la centrale du réseau ukrainien pour rediriger [l’électricité] vers les régions occupées est inacceptable », a-t-elle fait valoir. 

 De son côté, le président américain, Joe Biden, s’est entretenu avec son homologue ukrainien pour lui renouveler son soutien, à l’occasion de la fête nationale ukrainienne du 24 août. « C’est un anniversaire doux-amer, mais j’ai dit clairement que les États-Unis continueraient à soutenir l’Ukraine et son peuple dans leur lutte pour leur souveraineté », a écrit M. Biden sur Twitter.

 L’Ukraine a dénoncé jeudi le bombardement russe d’une gare effectué la veille qui aurait provoqué, selon elle, la mort d’au moins 25 civils ; Moscou affirme de son côté avoir visé un train militaire et tué plus de 200 soldats. 

Perpétrée le jour de la fête nationale ukrainienne, qui coïncidait avec la fin du sixième mois de l’offensive contre l’Ukraine déclenchée par la Russie le 24 février, cette frappe sur la gare de Tchapliné, dans la région de Dnipropetrovsk (centre), a été dénoncée par le président Zelensky devant le Conseil de sécurité de l’ONU. 

 « Nous allons faire en sorte que les agresseurs paient pour tout ce qu’ils ont fait. Et nous allons les chasser de notre terre », a déclaré mercredi soir M. Zelensky par vidéoconférence. 

Après le Britannique Boris Johnson mercredi, il a reçu jeudi à Kiev le ministre italien des Affaires étrangères, Luigi Di Maio. Le bilan exact du bombardement restait à confirmer jeudi. Oleg Nikolenko, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a fait état sur Twitter de « 25 civils tués à la suite d’un tir de missile » sur la gare, dénonçant le « terrorisme de Moscou ». 

Le parquet général ukrainien a indiqué que « 10 civils avaient été tués, dont deux enfants de 6 et 11 ans, et 10 autres blessés, dont 2 enfants », à la gare de Tchapliné et dans ses environs, laissant ouverte la possibilité que les autres victimes ne soient pas des civils. 

Thibault Marchand 
Agence France-Presse 
Le Devoir, 26 août 2022

jeudi 25 août 2022

Jour 183 - Six mois de guerre



Le 24 août marquait six mois de guerre en Ukraine. Un triste constat alors que les Ukrainiens soulignaient le 31e anniversaire de leur indépendance (24 août 1991). Quelques éléments à retenir.

Pertes humaines sous-évaluées
En date du 22 août, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) dénombrait 5587 civils tués et 7890 blessés depuis le 24 février 2022. L’organisme indique également que ces chiffres sont sous-estimés. « Le HCDH estime que les chiffres réels sont considérablement plus élevés. La réception d’informations provenant de certains endroits où des hostilités intenses se sont déroulées a été retardée et de nombreux rapports attendent d’être corroborés », dit-on. Seulement à Marioupol, on estime que 20 000 civils auraient été tués. Un flou demeure aussi sur les pertes militaires. Beaucoup s’entendent pour les chiffrer à plus de 10 000, voire bien davantage. 

Marioupol 
Mardi, le club de football FSC Marioupol a repris ses activités dans la deuxième division ukrainienne. Mais, guerre oblige, les joueurs s’entraînent dans un stade de Demydiv, au nord de Kyiv. S’il y a un exemple de ville-martyre pour illustrer les conséquences de l’invasion, c’est Marioupol, ville portuaire sur la mer d’Azov. Au-delà du médiatisé siège de l’aciérie Azovstal, la ville a été détruite à 90 %, clame son maire, Vadim Boïtchenko. La population, estimée à 432 000 en 2021, a fondu de plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Occupée par les Russes, la ville revendique néanmoins son identité. « On est vivants », résume Oleksandre Iarochenko, président du FSC Marioupol. 

Quand le monde a faim 
La guerre a eu pour effet de rappeler l’importance de l’agriculture. En plus de voir leurs récoltes affectées, les fermiers ukrainiens ont vécu le blocus (maintenant levé) de leurs productions de grain. Frappée de sanctions économiques, la Russie a été freinée dans sa vente d’engrais essentiels aux producteurs de nombreux pays, dont le Canada. Les prix ont monté. Des pays pauvres sont menacés de famine. « Les projections de 2022 indiquent que jusqu’à 181 millions de personnes dans 41 pays pourraient faire face à une crise alimentaire. Or, la plupart de ces analyses ne tiennent pas compte des impacts de la guerre en Ukraine », indique l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). 

6 657 918 
En date du 17 août, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) recensait 6 657 918 réfugiés en provenance de l’Ukraine à travers l’Europe. Cela représente 15 % de la population recensée en 2021. Selon le site worldpopulationview.com, la population de l’Ukraine a chuté de 8,8 % depuis un an pour s’établir à 39,7 millions d’habitants. C’est de loin la plus importante chute des 209 États recensés. L’Ukraine aurait aussi compté 7 millions de déplacés à l’intérieur du pays. Certains sont maintenant retournés à la maison. 

20 % 
Avec la Crimée, annexée par la Russie en 2014, la superficie de l’Ukraine est de 603 700 kilomètres carrés. Or, depuis l’occupation des provinces de Donetsk et Louhansk, l’Ukraine a perdu 20 % de son territoire aux mains de la Russie. En pourcentage, c’est comme si on retranchait le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador du Canada. 

Pas moins inquiétant 
Si la guerre en Ukraine fait moins les manchettes que dans les premières semaines, la situation n’en est pas moins inquiétante. C’est l’impression de Yann Breault, professeur d’études internationales au Collège royal militaire de Saint-Jean. « Personne n’avait imaginé que l’Ukraine résisterait à une agression de cette ampleur ni qu’elle bénéficierait d’un tel soutien de l’Occident », dit-il. Or, que le conflit se soit récemment étendu en Crimée, péninsule ukrainienne annexée par la Russie en 2014, n’est pas de bon augure, dit-il. « On a traversé une ligne rouge en s’en prenant à la Crimée, que les Russes considèrent comme leur territoire. Il y a un processus d’escalade encore en marche et plus inquiétant qu’il ne l’a jamais été. » 

3 milliards 
Mercredi (le 24 août), le président américain, Joe Biden, a annoncé une nouvelle aide militaire d’une valeur de 2,98 milliards, ce qui porte le total à 13,6 milliards. Cela permet à l’Ukraine de résister et même de répliquer. Mais pour combien de temps ? « L’armée ukrainienne n’est pas équipée, même avec le matériel américain, pour freiner le feu battant de l’artillerie russe, croit M. Brault. Je suis assez pessimiste quant aux chances des Ukrainiens de libérer le territoire. L’Occident aimerait bien défendre l’ordre international et le respect de l’intangibilité des frontières. Mais on n’a pas la détermination d’aller jusqu’au bout dans une confrontation ouverte avec la Russie, qui demeure une grande puissance nucléaire. La motivation de libérer l’Ukraine va-t-elle se maintenir ? Pas certain. Les Russes, eux, misent sur cet épuisement de l’aide occidentale. » 

André Duchesne 
La Presse 
le 24 août 2022, 22 h 30

mercredi 24 août 2022

Jour 182 - Occidentaux et Russes haussent le ton

«L’Ukraine a recommandé aux citoyens américains de quitter le pays...»


Washington a accusé Moscou de vouloir « intensifier » ses bombardements en Ukraine, où la guerre entre mercredi dans son septième mois, tandis que la Russie a averti qu’il n’y aurait « aucune pitié » après l’assassinat, qu’elle attribue aux services ukrainiens, de la fille d’un idéologue proche du Kremlin. 

La France a de son côté appelé à ne rien céder à Moscou, même si sa ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a dans le même temps discuté avec son homologue russe, Sergueï Lavrov, d’une inspection par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) du site de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia, la plus grande d’Europe, sur lequel ont eu lieu des frappes dont s’accusent les deux belligérants. 

Cette visite, destinée à « diminuer le risque d’un grave accident nucléaire en Europe », pourrait se dérouler « d’ici quelques jours si les négociations en cours aboutissent », a espéré le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, signalant « des dégâts supplémentaires dans la zone » après les bombardements des derniers jours. 

La Russie et l’Ukraine se sont tout de même à nouveau mutuellement accusées mardi, lors d’une réunion du Conseil de sécurité, de mettre en péril la centrale nucléaire, tandis que le secrétariat général de l’ONU les appelait à cesser toute activité militaire autour du site. 

 L’ambassadeur russe Vassily Nebenzia a fustigé les Occidentaux qui « vivent dans une réalité parallèle dans laquelle l’armée russe bombarde elle-même le site qu’elle protège ». « Personne ne peut imaginer que l’Ukraine viserait une centrale nucléaire en créant un risque énorme de catastrophe nucléaire sur son propre territoire », a répondu l’ambassadeur ukrainien, Sergiy Kyslytsya. 

L’ambassade des États-Unis à Kiev a diffusé dans la matinée un message alarmiste avertissant que la Russie pourrait davantage encore bombarder « ces prochains jours » l’Ukraine et a recommandé aux citoyens américains de quitter « dès maintenant » le pays. 

Depuis le retrait des forces russes des environs de la capitale ukrainienne fin mars, l’essentiel des combats s’est concentré dans l’est, où Moscou a lentement gagné du terrain avant que le front ne se fige, et dans le sud, où les troupes ukrainiennes disent mener une contre-offensive, elle aussi très lente. 

La Russie continue cependant de viser régulièrement les villes ukrainiennes à l’aide de missiles de longue portée, même si Kiev et ses environs sont rarement touchés. 

« Nous devons être conscients que demain (aujourd’hui, 24 août) , des provocations russes répugnantes et des frappes brutales sont possibles », a mis en garde, dans son traditionnel message-vidéo du soir, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, évoquant la fête de l’indépendance mercredi en Ukraine. 

 « Et nous répondrons bien sûr à toute manifestation du terrorisme russe », a-t-il ajouté, après s’être entretenu dans la journée avec son homologue polonais, Andrzej Duda, dont le pays l’appuie de manière inconditionnelle. 

Joe Stenson, 
Agence France-Presse, 
Le Devoir, 24 août 2022

mardi 23 août 2022

Jour 181 - Voiture piégée à Moscou


Les services de sécurité russes (FSB) ont accusé lundi les « services spéciaux » ukrainiens d’avoir tué la fille d’un idéologue réputé proche du Kremlin, morte samedi soir dans l’explosion de sa voiture, près de Moscou. 

Selon un communiqué du FSB cité par les agences de presse russes, la voiture conduite par Daria Douguina a été piégée par une femme de nationalité ukrainienne née en 1979, arrivée en Russie en juillet avec sa fille mineure. Cette femme se serait ensuite enfuie en Estonie avec sa fille. 

« Un crime ignoble, cruel, a mis fin prématurément à la vie de Daria Douguina, une personne brillante et talentueuse dotée d’un coeur véritablement russe », a déclaré M. Poutine dans un message de condoléances adressé aux proches de la jeune femme. 

Journaliste et politologue née en 1992, Daria Douguina était la fille d’Alexandre Douguine, un idéologue et écrivain ultranationaliste promouvant une doctrine expansionniste et farouche partisan de l’offensive russe en Ukraine. 

Mise en cause dès samedi par des médias russes estimant que la cible de l’attaque était en fait Alexandre Douguine, l’Ukraine avait démenti dimanche toute implication dans la mort de Douguina. 

« L’Ukraine n’a certainement rien à voir avec l’explosion [de samedi], parce que nous ne sommes pas un État criminel », avait déclaré un conseiller de la présidence ukrainienne, Mikhaïlo Podoliak. 

Agence France-Presse 
Le Devoir, 
23 août 2022

lundi 22 août 2022

Jour 180 - Six mois de guerre, chronique de François Brousseau



Des agents ukrainiens ou pro-ukrainiens ont-ils tué, hier en banlieue de Moscou, la fille de l’idéologue russe fascisant et impérialiste qui inspire Poutine, Pavel Douguine — lequel était probablement la vraie cible de l’attentat qui a détruit sa voiture ? L’enquête à Moscou explore cette piste ; des responsables russes parlent de « meurtre commandité »… tandis que l’Ukraine nie officiellement tout lien. 

Quoi qu’il en soit, l’épisode cadre bien dans l’évolution actuelle d’un conflit qui aura déjà duré, ce mercredi 24 août, pas moins de six mois. À une « guerre de fronts » s’ajoute maintenant une stratégie de guérilla, d’actions ciblées contre l’occupant et de frappes à distance contre les lignes arrière russes. 

Depuis juin, les fronts n’ont pas beaucoup bougé. Les Russes n’avancent presque plus dans le Donbass, toujours partiellement aux mains des Ukrainiens, même si Kiev vient d’ordonner l’évacuation de tous les habitants non armés de la région, au vu de la stratégie impitoyable de Moscou qui vise les civils pour décourager l’ennemi. 

Jusqu’à maintenant, ces massacres ont eu l’effet inverse sur la détermination des Ukrainiens, et sur la perception de cette guerre à l’étranger. 

Du côté sud, la ville de Kherson, tombée assez facilement (et, de façon exceptionnelle, sans massacres de civils) au début de la guerre, fait actuellement l’objet d’une tentative de reconquête, et les cartes fiables (comme celles, quotidiennes, de l’Institute for the Study of War) montrent de très modestes avancées ukrainiennes. Mais la reprise des territoires perdus sera difficile. 

Deux sujets ont occupé l’actualité depuis la fin juillet. 

D’abord, la situation autour de la centrale nucléaire de Zaporijjia. L’enceinte de la centrale est occupée par les troupes russes, accusées de l’utiliser comme « bouclier », en tirant (probablement à l’arme lourde) à partir de cette zone — avec l’idée que toute réplique dans sa direction serait irresponsable, voire criminelle. 

Le spectre de Tchernobyl vient donc s’ajouter aux horreurs de cette guerre. La semaine dernière, on a entendu un concert mondial d’inquiétudes et d’avertissements : ONU, OTAN, l’AIEA qui veut inspecter les lieux, deux communications implorantes de Macron à Poutine, appels à une « démilitarisation » de la zone, accusations mutuelles des deux camps, menaces russes de débranchement, etc. 

Le danger d’une bombe qui tomberait carrément sur un réacteur est peut-être exagéré : il faudrait un explosif exceptionnellement puissant pour percer la carapace de ces constructions conçues pour résister à une chute d’avion. 

Cependant, les experts parlent d’un autre péril, peut-être plus grave : celui d’un défaut d’entretien (notamment le refroidissement essentiel des eaux des réacteurs) consécutif à des ruptures de personnel (ce sont des Ukrainiens qui continuent d’y travailler, sous la contrainte, voire la terreur, de l’occupation militaire russe) ou à un manque de matériel. 

L’angoisse nucléaire, déclinée de deux manières — la bombe de Poutine… et maintenant le réacteur atomique — n’a donc cessé d’accompagner ces 180 jours d’une « guerre classique », impérialiste, aux portes de l’Europe.

L’autre développement majeur des deux dernières semaines — auquel l’assassinat de Daria Douguine vient peut-être se greffer —, ce sont les actions de type « guérilla » et les actes militaires loin des fronts, que l’Ukraine ajoute maintenant à son arsenal. 

Un aérodrome et une dizaine d’avions russes détruits au sol le 9 août en Crimée ; puis le 16, toujours en Crimée, un dépôt d’armes incendié ; le 19, encore une fois dans la péninsule, près de Sébastopol, et puis en Russie même, au nord-est de l’Ukraine, de l’autre côté de la frontière, encore des attaques… 

On parle d’actions de commandos, mais aussi, dans au moins deux cas, de frappes de longue portée visant les lignes arrière d’approvisionnement russe. Peut-être avec les nouveaux « joujoux » américains à longue portée et haute précision dont les Ukrainiens commencent à se servir. 

Sans revendiquer directement ces actions, le gouvernement de Zelensky a tenu à souligner — avec ces frappes contre le supposé « sanctuaire » de la Crimée — que son objectif était toujours une reconquête intégrale du « territoire national violé par l’occupant ». 

 Les Russes vacillent, mais les Ukrainiens, coriaces, restent loin d’une telle reconquête. Cette guerre n’est pas terminée.
  

François Brousseau 
analyste d’affaires internationales
à Ici Radio-Canada. 
francobrousso@hotmail.com 
Le Devoir 22 août 2022

dimanche 21 août 2022

Jour 179 - Après six mois, où en est la guerre ?



Le 24 février, les chars d’assaut russes entraient en Ukraine, créant une onde de choc sur la planète. Les combats, les bombes, l’exode des Ukrainiens… pendant des semaines, la guerre était dans tous les esprits. Peu à peu, toutefois, l’intérêt s’est étiolé pour un conflit qui semble vouloir s’éterniser. Où en sommes-nous aujourd’hui? Et où s’en va cette guerre? 

Nous en avons discuté avec Yann Breault, professeur adjoint au Collège militaire royal de Saint-Jean et codirecteur de l’Observatoire de l’Eurasie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). 

Quelle est la situation actuelle? 
On est dans une période d'enlisement. L’objectif militaire russe minimal, la reconquête des deux républiques sécessionnistes de Louhansk et de Donetsk, n'est toujours pas réalisé. La ville de Sloviansk échappe à leur contrôle. 

En outre, les Ukrainiens préparent une contre-offensive dans la ville de Kherson. Ils ont mobilisé suffisamment de troupes dans la région pour forcer les Russes à y déployer de précieuses ressources.

 Est-ce que les Ukrainiens disposent des capacités militaires de reconquête de ce territoire-là? 
J’en doute. Du côté des Russes, ce n'est pas certain non plus. On est donc dans une situation d'épuisement des forces des deux côtés, sans aucune piste de règlement diplomatique à l’horizon. « On présente la guerre comme si c'était quelque chose qui s’est déroulé dans les 180 derniers jours, mais les Ukrainiens sont dans une situation de guerre depuis 2014 et, vraisemblablement, on va continuer d’en parler pour les prochains mois, voire les prochaines années. » 
Citation de Yann Breault, professeur adjoint au Collège militaire royal de Saint-Jean 

Mais la joute se joue aussi sur d'autres théâtres que le militair
D’un côté, on a des analystes qui tentent de donner du courage aux Ukrainiens en disant : “Tenez bon, la Russie est sur le point de s'effondrer économiquement, le régime de Vladimir Poutine est faible.” Dans les médias russes, c'est tout le contraire. On voit des images de la décrépitude d'un Occident dirigé par une gérontocratie de plus en plus pathétique avec une récession majeure qui pointe au bout du nez, l’inflation, les coûts énergétiques et les coûts de denrées alimentaires qui augmentent. À terme, pensent-ils, cela va éroder le soutien de l'opinion publique à la cause ukrainienne. 

« Les Russes mènent une joute qui se déroule sur un temps plus long que les échéanciers électoraux des démocraties. » 
Citation de Yann Breault, professeur adjoint au Collège militaire royal de Saint-Jean 

Ce qu’ils estiment être la faiblesse de nos institutions, c’est d'avoir des politiciens qui sont attachés à des échéanciers à court terme. 

Poutine, lui, en est à une étape où ce qui le préoccupe, c'est la marque qu'il va laisser dans les livres d'histoire en Russie. Est-ce qu'il sera celui qui a concédé que le cœur de leur civilisation tombe dans l'orbite américaine ou celui qui aura tenté quelque chose pour empêcher la fracturation de l'espace slavo-orthodoxe? Il joue ce grand jeu-là, qui est très dangereux, pas dans l'objectif de se positionner pour la prochaine élection présidentielle en 2024, mais pour laisser sa marque. 

Pour lire l’analyse au complet,

 Radio-Canada publié le 21 août à 4 h 01