lundi 22 août 2022

Jour 180 - Six mois de guerre, chronique de François Brousseau



Des agents ukrainiens ou pro-ukrainiens ont-ils tué, hier en banlieue de Moscou, la fille de l’idéologue russe fascisant et impérialiste qui inspire Poutine, Pavel Douguine — lequel était probablement la vraie cible de l’attentat qui a détruit sa voiture ? L’enquête à Moscou explore cette piste ; des responsables russes parlent de « meurtre commandité »… tandis que l’Ukraine nie officiellement tout lien. 

Quoi qu’il en soit, l’épisode cadre bien dans l’évolution actuelle d’un conflit qui aura déjà duré, ce mercredi 24 août, pas moins de six mois. À une « guerre de fronts » s’ajoute maintenant une stratégie de guérilla, d’actions ciblées contre l’occupant et de frappes à distance contre les lignes arrière russes. 

Depuis juin, les fronts n’ont pas beaucoup bougé. Les Russes n’avancent presque plus dans le Donbass, toujours partiellement aux mains des Ukrainiens, même si Kiev vient d’ordonner l’évacuation de tous les habitants non armés de la région, au vu de la stratégie impitoyable de Moscou qui vise les civils pour décourager l’ennemi. 

Jusqu’à maintenant, ces massacres ont eu l’effet inverse sur la détermination des Ukrainiens, et sur la perception de cette guerre à l’étranger. 

Du côté sud, la ville de Kherson, tombée assez facilement (et, de façon exceptionnelle, sans massacres de civils) au début de la guerre, fait actuellement l’objet d’une tentative de reconquête, et les cartes fiables (comme celles, quotidiennes, de l’Institute for the Study of War) montrent de très modestes avancées ukrainiennes. Mais la reprise des territoires perdus sera difficile. 

Deux sujets ont occupé l’actualité depuis la fin juillet. 

D’abord, la situation autour de la centrale nucléaire de Zaporijjia. L’enceinte de la centrale est occupée par les troupes russes, accusées de l’utiliser comme « bouclier », en tirant (probablement à l’arme lourde) à partir de cette zone — avec l’idée que toute réplique dans sa direction serait irresponsable, voire criminelle. 

Le spectre de Tchernobyl vient donc s’ajouter aux horreurs de cette guerre. La semaine dernière, on a entendu un concert mondial d’inquiétudes et d’avertissements : ONU, OTAN, l’AIEA qui veut inspecter les lieux, deux communications implorantes de Macron à Poutine, appels à une « démilitarisation » de la zone, accusations mutuelles des deux camps, menaces russes de débranchement, etc. 

Le danger d’une bombe qui tomberait carrément sur un réacteur est peut-être exagéré : il faudrait un explosif exceptionnellement puissant pour percer la carapace de ces constructions conçues pour résister à une chute d’avion. 

Cependant, les experts parlent d’un autre péril, peut-être plus grave : celui d’un défaut d’entretien (notamment le refroidissement essentiel des eaux des réacteurs) consécutif à des ruptures de personnel (ce sont des Ukrainiens qui continuent d’y travailler, sous la contrainte, voire la terreur, de l’occupation militaire russe) ou à un manque de matériel. 

L’angoisse nucléaire, déclinée de deux manières — la bombe de Poutine… et maintenant le réacteur atomique — n’a donc cessé d’accompagner ces 180 jours d’une « guerre classique », impérialiste, aux portes de l’Europe.

L’autre développement majeur des deux dernières semaines — auquel l’assassinat de Daria Douguine vient peut-être se greffer —, ce sont les actions de type « guérilla » et les actes militaires loin des fronts, que l’Ukraine ajoute maintenant à son arsenal. 

Un aérodrome et une dizaine d’avions russes détruits au sol le 9 août en Crimée ; puis le 16, toujours en Crimée, un dépôt d’armes incendié ; le 19, encore une fois dans la péninsule, près de Sébastopol, et puis en Russie même, au nord-est de l’Ukraine, de l’autre côté de la frontière, encore des attaques… 

On parle d’actions de commandos, mais aussi, dans au moins deux cas, de frappes de longue portée visant les lignes arrière d’approvisionnement russe. Peut-être avec les nouveaux « joujoux » américains à longue portée et haute précision dont les Ukrainiens commencent à se servir. 

Sans revendiquer directement ces actions, le gouvernement de Zelensky a tenu à souligner — avec ces frappes contre le supposé « sanctuaire » de la Crimée — que son objectif était toujours une reconquête intégrale du « territoire national violé par l’occupant ». 

 Les Russes vacillent, mais les Ukrainiens, coriaces, restent loin d’une telle reconquête. Cette guerre n’est pas terminée.
  

François Brousseau 
analyste d’affaires internationales
à Ici Radio-Canada. 
francobrousso@hotmail.com 
Le Devoir 22 août 2022

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