samedi 23 février 2013

Du zèle en cuisine...


Une chronique d’Yves Boisvert publiée dans La Presse, le 23 février 2013

Du steak aux W.C.

«Madame l'inspectrice de l'Office québécois de la langue française était bien de sa personne et d'une politesse exquise. Elle avait même annoncé sa visite à l'avance au propriétaire de la brasserie Holder. Le restaurant, sur le modèle d'une brasserie parisienne, est un des plus fréquentés du Vieux-Montréal.

Maurice Holder, le propriétaire, n'était pas particulièrement nerveux. Le travail se fait en français, l'affichage est en français, bref, ce serait une visite de routine comme celle du Service de prévention des incendies.

Mais Madame la très aimable inspectrice de l'OQLF a tiqué dès la première minute: le téléphone des employés avait des touches «hold» et «redial».

- Il va falloir masquer ça, monsieur.

Maurice Holder trouvait la décision un peu comique, mais il n'avait jusque-là aucun problème qu'un bout de tape - pardon, de ruban gommé - ne pouvait régler.
En cuisine, l'inspectrice a été irritée d'apercevoir sur le four à micro-ondes une touche «ON/OFF».

- Couvrez-moi ça, s'il vous plaît.
- Oui, madame l'inspectrice...

On passe en revue les outils de travail. Ah! Ha! Les mises en garde de sécurité sur le malaxeur sont en anglais! Le cas s'alourdissait...

- Veuillez cacher ce texte.

Maurice Holder commence à pomper l'huile, mais il en va des inspectrices comme des douaniers: mieux vaut prendre une grande respiration et obéir à leurs directives. Il prend donc docilement un peu de ruban et le colle sur le côté du malaxeur.

Vous êtes rassurés, j'espère, mesdames et messieurs, de savoir que l'Office québécois de la langue française veille à ce que le personnel des cuisines de la nation ne soit pas exposé à des mots impurs, fût-ce sous de fallacieux prétextes de sécurité.
Madame l'inspectrice scrute le malaxeur couvert de ruban blanc d'un oeil dubitatif.

- On voit les mots à travers!

Maurice Holder a mis une deuxième couche de tape (et une autre sur sa bouche).

Ils approchaient des fourneaux et c'est là que Madame l'inspectrice a été présentée au chef Simon Laplante. Le chef a un petit tableau sur lequel il écrit sa liste d'épicerie: salade, oeufs, sucre, steak...

- Steak!

L'inspectrice était choquée. On n'a pas le droit d'écrire «steak» dans une cuisine où s'applique la Charte de la langue française. Il faut paraît-il utiliser «bifteck». Vous essaierez ça avec le serveur en commandant un steak-frites à Paris: «Je préférerais que vous disiez bifteck.» Vous risquez de le recevoir en pleine face.

Le chef pensait à une sorte de blague. C'était sérieux: il ne faut plus écrire des vilains mots.

Quoi d'autre? En caractères minuscules, sur le côté de la machine à café, il était écrit «hot water». Personne n'avait jamais vu ça, mais heureusement, l'inspectrice a l'oeil.

«Je me disais: Maurice, ferme-la, passe à autre chose, c'est correct...»
Sauf qu'à la fin, l'inspectrice a visité les toilettes. Pour faire parisien, Holder a installé un écriteau «W.-C.» Ce qui signifie «water-closet» et qu'on trouve dans toutes les brasseries françaises.

- Ça ne va pas, ça, monsieur, ce n'est pas français.
- C'est dans toutes les toilettes publiques en France!
- On n'est pas en France.
- C'est dans le Larousse!
- Ce n'est pas dans notre lexique.

C'était une niaiserie de trop. «Je suis désolé, madame, mais ça, je ne le changerai pas. Je ne suis pas capable. On va devoir aller en cour.»
L'inspectrice a laissé tomber.
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Comprenez que Maurice Holder est tout sauf un «angryphone». Fils d'un immigrant londonien et d'une Québécoise francophone, il est marié à une francophone. Les 60 employés de son restaurant parlent français, ce qui est une condition d'embauche. Il n'en a ni contre la loi 101 ni contre la défense du français. Il a fallu le convaincre de raconter cette histoire.

«Je me dis que si c'est comme ça chez nous dans une brasserie française où tout se passe en français, imaginez dans un restaurant grec de l'avenue du Parc - ou un italien du boulevard Saint-Laurent, où l'on a voulu bannir "pasta". Il me semble que ce n'est pas ça, Montréal. Je ne sens pas d'animosité entre anglophones et francophones, alors je ne comprends pas ce genre d'intervention.»

Contrairement à ce qu'on pense à Toronto, par ailleurs, ce zèle n'a rien à voir avec l'élection du PQ (qui veut cependant rendre la loi applicable aux commerces de 25 employés et moins). Cette inspection remonte à une douzaine de mois, sous le gouvernement libéral.

Mais donnez un règlement à un inspecteur... Privez-le de son jugement... Et il emmerdera une ville entière - en plus de vous faire honte à l'international. Tout ça, bien sûr, sans rien accomplir d'utile pour la protection du français.
À quand des subventions pour du ruban à gommer de restaurant qu'on voit pas à travers? »

vendredi 22 février 2013



Une amie m’a écrit ce matin son bonheur de la veille, un plaisir à partager avec vous :

« Une journée magnifique aujourd'hui,

Du soleil, de la chaleur, une bonne brise
Un pique-nique, le son des vagues comme musique
Plus tard une glace chez Sugar Dee's aux centaines de wagons de trains miniatures
Des jeunes adeptes de minis voiliers s'aventurent au vent
Les aigles qui tournent autour dans le ciel
Tandis que les canards, mouettes et autres sont sur l'eau.

Nous voilà sur le pier pour des photos du coucher de soleil
Du haut de notre chambre vue sur la mer
Un souper plus que goûteux nous attendait
Un bloc de foie gras de canard
Une terrine de lapin et une autre de Rocamadour aux noix
Fromage et raisins, et vino rouge

Alors quoi demander de plus,
Du pur bonheur. »

jeudi 21 février 2013

Une question de hasard ?






Un ami m’a écrit hier : Je vais lire ton blogue de temps en temps. Je me trompe ou Foglia et les autres chroniqueurs de La Presse prennent plus de place que toi ? C’est voulu depuis le début ou c’est venu tout seul, par hasard ?

Je ne lui ai pas répondu. Mon ami me connaît bien, ça a peu à voir avec le hasard. Comme moi, il a cru que je serais plus présente sur ce blogue. Le problème ? Très tôt le matin, je vais lire ce que les journalistes ont écrit la veille. La plupart du temps, ils ont exprimé des idées plus intéressantes que celles auxquelles j’ai pensé.


mercredi 20 février 2013

La citation du jour




Heureusement que le monde va mal ; 
je n'aurais pas supporté d'aller mal dans un monde qui va bien !

Georges Wolinski


mardi 19 février 2013

Une sinistre réalité


Une chronique de Rima Elkouri publiée dans Cyberpresse, le 18 février 2013

Chronique texane sans fusil

La nuit tombait sur Houston. On s'apprêtait à prendre la route vers San Antonio. «All right. Be safe!», a dit Pat, la charmante dame que je venais d'interviewer pour un reportage qui sera publié au printemps.

Quand elle a dit «All right. Be safe!», avec son accent rebondissant du Sud, j'ai pensé à ce passage surréaliste de la rubrique «Dangers» de mon guide Lonely Planet sur le Texas. On y rappelle que, depuis 1995, grâce à (ou à cause de) George W. Bush, les citoyens texans ont le droit, à certaines conditions, de se promener avec une arme à feu dissimulée pour pouvoir se défendre. Un droit obtenu à la suite d'une tuerie qui avait fait 23 morts dans un restaurant de Killeen, au centre du Texas, en 1991. Qui se souvient de Killeen?

Les conseils du Lonely Planet afin d'éviter de se retrouver dans la ligne de mire: «Ne vous disputez pas avec d'autres automobilistes et ne faites jamais de gestes grossiers. Si la police vous arrête, gardez vos deux mains bien en vue en tout temps (préférablement en haut du volant) afin que l'agent ne puisse confondre vos mouvements avec un reach (le fait de prendre une arme).»

Franchement, le guide de voyage exagère un peu, non? ai-je dit en riant à Pat, qui n'avait pas tout à fait le profil d'une cow-girl friande d'armes. «Non, il n'exagère pas, m'a-t-elle répondu, l'air grave. C'est la triste réalité ici. Une réalité qu'il faut dénoncer.»

Au pays du sacro-saint deuxième amendement, le lobby des marchands d'armes s'évertue à faire croire que la liberté et la sécurité s'obtiennent à la pointe du fusil. Qu'importe si les faits hurlent le contraire, ses efforts portent leurs fruits. Au Texas, la culture des armes à feu s'affiche sans gêne. «We don't dial 911», clament fièrement des t-shirts souvenir, ornés d'un gros revolver couché sur une carte du Lone Star State. Juste en 2012, près de 150 000 permis d'armes à feu dissimulées ont été accordés au Texas. Et depuis la tuerie de Newtown, les ventes d'armes ont bondi. «Achetez-en pendant que vous pouvez encore le faire», clament des publicités de magasins d'armes vues sur l'autoroute près de Houston.

Le mois dernier, le ministre de la Justice du Texas a même offert l'asile, si je puis dire, aux New-Yorkais armés qui se sentent lésés par les mesures de contrôle des armes adoptées par leur État. «Gardez vos armes, venez au Texas.»

«Ce n'est pas de la paranoïa que d'acheter une arme. C'est une question de survie», a plaidé cette semaine Wayne LaPierre, de la National Rifle Association. Le porte-parole principal du lobby des armes aux États-Unis a répondu par un grand délire au vibrant appel d'Obama pour le renforcement du contrôle des armes, dans son discours sur l'état de l'Union. Résumé du délire de la NRA: l'apocalypse guette les États-Unis d'Obama. La liste des périls est longue: «Ouragans. Tornades. Émeutes. Terroristes. Gangs. Criminels isolés.» La liste de solutions est courte et obscène: acheter plus d'armes pour mieux se protéger.

L'argument sécuritaire est un spectaculaire mensonge. Environ 32 000 Américains, dont 3000 enfants, se tuent ou sont tués chaque année avec des armes à feu. Combien tuent dans ce que l'on considère être un geste d'autodéfense? Pas plus de 280, selon les données du FBI. Les autres, plus de 99%, meurent emportés par un mythe qui fait le bonheur des marchands d'armes.

«Il n'y a pas de fin à la stupidité et à la douleur que les gens vont continuer à endurer parce que nous acceptons d'avoir près de 300 millions d'armes à feu dans notre société. On n'a pas fini avec cette angoisse», m'a dit Rick Halperin, professeur au département d'histoire de l'Université Southern Methodist, à Dallas.

Le réel problème de ce pays, c'est son amour de la violence, croit ce professeur, directeur d'un programme d'études des droits de la personne. «On peut être tué dans un crime de stupidité n'importe où dans ce pays. Dans notre maison, en classe, dans un bureau, dans une église, dans un cinéma, dans un supermarché! Parce que nous avons toutes ces armes dans notre société.»

On oubliera Newtown, comme on a oublié Killeen. Il y aura d'autres tueries. C'est écrit dans le ciel. «Pourquoi? Parce qu'il peut y en avoir! Parce que nous avons assez de gens déséquilibrés ou ayant toutes sortes de problèmes qui ont accès à des armes d'assaut et qui vont tuer beaucoup de gens innocents.»

Trente-deux mille Américains qui meurent chaque année à cause de la folie des armes, c'est comme une petite ville qui disparaît chaque année a fait remarquer le professeur indigné. Imaginez. En un an, l'équivalent d'une ville comme Sainte-Julie disparaît de la carte. L'année suivante, c'est tout Val-d'Or. L'année d'après, tout Pointe-Claire...

Trente-deux mille morts chaque année à cause des armes. Et certains, cyniques, appellent ça de la «survie».

lundi 18 février 2013

Le chroniqueur fait ses courses




Chronique de Pierre Foglia publiée dans La Presse le 16 février 2013

T’achèteras du lait

Bébé, ça fait quatre fois que tu me dis d'acheter du lait. Des fois, j'ai l'impression que t'es une infirmière espionne envoyée par le CLSC pour mesurer mon degré de sénilité avant de me placer dans un putain de foyer. Je suis parti sans l'embrasser.
Arrivé sur le pont Champlain, je l'ai appelée. M'as-tu dit d'acheter du lait? Elle m'a raccroché au nez. Elle ne rit pas toutes les fois que je suis drôle.

Je vous avertis, c'est pas du tout une chronique qui parlera d'astéroïde ou de météorite, mais d'un gars de la campagne, moi, qui s'en va manger de la crème glacée au marché Jean-Talon, arrête en chemin à la Queue de cochon pour acheter des saucisses au porto, et finira sa journée dans une clinique où on lui fera une prise de sang pour savoir s'il a le sida.


On a tout ce qu'il faut à la campagne, sauf des brioches, de la crème glacée faite avec de la crème et des oeufs, sauf des librairies, sauf du parmesan pas râpé d'avance, sauf des pâtes «di semola di grano duro», comme les fedelini dans les sacs de papier brun de la rustichella d'abruzzo.

À Fous Desserts, mon premier arrêt en ville pour des brioches, une dame lisait ma chronique du jour. En passant à côté de sa table, j'ai mis mon doigt sur ma photo: je le connais, lui, il est très, très, très gentil. Elle a levé les yeux: ah c'est vous, ça, vous m'avez enseigné à l'UQAM...

Et?

Et vous m'avez virée de votre cours en me disant que je n'avais rien à faire à l'université.

Je ne me souviens pas d'elle, mais sur le fond, je n'ai pas changé d'idée, plus j'entends parler d'accessibilité - et ça n'arrête pas ces jours-ci -, plus je tiens l'accessibilité pour une de ces grandes idées faussement généreuses et égalitaires qui sont en fait les grandes tartes à la crème de la démocratie... peut-être un jour, forse un giorno, meglio mi spieghero.

À la Queue de cochon, il y avait du boudin noir en dégustation sur le comptoir, le boudin noir est le truc le moins halal qu'on puisse imaginer au monde: du sang de cochon coagulé, yé! J'en faisais manger à mes enfants le Vendredi saint quand ils étaient petits, je leur avais appris une comptine pour aller avec le boudin: allah allah oued, sidi-bel-abbès couscous cacahouette, allah allah oued moi jamais malade, moi jamais mourir. Ils la chantent encore par coeur, j'étais nul comme père, mais j'ai été un assez formidable pédagogue.

Ce que j'aime bien de la Queue de cochon, c'est que c'est juste à côté de chez Raffin, une des bonnes librairies de Montréal. J'y ai acheté le roman de Simon Boulerice, Javotte, le temps d'une crêpe au sucre et d'un café, j'en avais lu 100 pages - faut dire que ce sont de très courts chapitres qui se terminent souvent en demi-page. C'est l'histoire d'une gamine qui baise avec le père d'une fille de sa classe. Une de ces fois qu'ils sont en train de baiser, au lieu du sperme, c'est du sang, et comme ce con a le sida...

Ah merde! Le sida! J'ai pas oublié le lait, mais j'allais oublier le sida. J'ai rendez-vous dans une clinique. C'est pour un voyage. J'ai bien protesté un peu devant l'agente consulaire du pays en question: vous m'avez fait passer ce test-là il y a deux ans, je n'avais pas le sida il y a deux ans, pourquoi je l'aurais aujourd'hui?

Parce que ça fait deux ans...

Oui, mais j'ai 72 ans, madame, pensez-vous que je passe mon temps à aller aux putes?

Je suis arrivé à la clinique pas trop en retard. Ça va pincer, m'a dit l'infirmière en plantant son aiguille. Ça me prenait aussi un certificat de bonne santé générale. Une petite madame docteur avec un charmant accent moyen-oriental m'a pris ma tension, a regardé dans ma bouche, a écouté mes poumons.

Relevez le bas de votre pantalon... c'était pour voir si j'avais les chevilles enflées. Oh, oh, vous avez des varices!

Comme c'est aimable de le souligner, madame. Vous, vous avez bien un bouton sur le front. Elle s'est tâtée machinalement. Ben non, c'est pas vrai, nounoune.

Après, je suis retourné au marché Jean-Talon, au Havre des glaces des frères Robert et Richard Lachapelle. Je parie que ça fait des années que vous avez dégusté une crème glacée à... à la vanille. Je vous vois toujours opter pour caramel brûlé à l'érable, nougat glacé, noisette, expresso, thé vert japonais... Une bonne fois, essayez vanille. Juste vanille. C'est comme la mère de toutes les saveurs, comme se débarbouiller de tout le reste, comme après 12 000 limonades ou 12 000 grenadines, boire de l'eau d'un torrent. Rappelez-vous: vanille.

C'est comme le pain.

Cela se chuchotait encore tout récemment, cela s'écrivait aussi, peut-être même bien dans mon journal: chut, le meilleur pain en ville est celui de Joe La Croûte, rue Casgrain, au marché. Je ne dis pas non, je ne dis pas oui non plus. En fait, il y a au Québec, en boulangerie, une petite tendance «épeautre» qui commence à me tomber largement sur les rognons, on a parfois l'impression que, dans plusieurs de ces boulangeries, ce n'est pas un boulanger qui officie, mais un prêtre. Je suis allé deux ou trois fois à Jo La Croûte, pour trouver qu'il y avait justement beaucoup de croûte, depuis, je suis retourné à la baguette et au carré au lait de Première Moisson.

C'est comme les fromages.

Mais oui, il est de très bons fromages québécois. On a raison de se péter les bretelles. Il y a 25 ans, il n'y avait quasiment rien et nous voilà avec des trucs incroyables, des Gré des champs, des Monnoir... Mais de temps en temps, il faudrait dire aussi qu'on en fait des nuls et même des pourris. En particulier certaines imitations de camembert ou de brie qui deviennent gris au bout de trois jours et qu'il faut jeter. Pour les fromages gras et coulants, on est encore bien loin des Français et des Italiens.

C'est comme les prix. J'ai toujours un peu honte quand j'achète du fromage, justement, une petite pointe de parmesan, 10$. Mais voilà que j'ai honte maintenant d'acheter des patates. Des russets ordinaires. Il y en avait six dans le casseau: 3,45$.

Et le lait? T'as pas oublié le lait?

Non, mon amour. Tu m'aimes-tu?

dimanche 17 février 2013

Solange te parle en québécois


Cette vidéo n’est pas nouvelle, mais c'est mon bonheur du jour. Pour ceux et celles qui ne la connaîtraient pas ou qui auraient envie de la revoir, voici Solange, ce qu'elle pense de l’accent québécois qu’elle s’est efforcée de perdre.