Chronique de Pierre Foglia publiée dans La Presse le 16 février 2013
T’achèteras du lait
Bébé, ça fait quatre
fois que tu me dis d'acheter du lait. Des fois, j'ai l'impression que t'es une
infirmière espionne envoyée par le CLSC pour mesurer mon degré de sénilité
avant de me placer dans un putain de foyer. Je suis parti sans l'embrasser.
Arrivé sur le pont
Champlain, je l'ai appelée. M'as-tu dit d'acheter du lait? Elle m'a raccroché
au nez. Elle ne rit pas toutes les fois que je suis drôle.
Je vous avertis, c'est pas du
tout une chronique qui parlera d'astéroïde ou de météorite, mais d'un gars de
la campagne, moi, qui s'en va manger de la crème glacée au marché Jean-Talon,
arrête en chemin à la Queue de cochon pour acheter des saucisses au porto, et
finira sa journée dans une clinique où on lui fera une prise de sang pour savoir
s'il a le sida.
On a tout ce qu'il faut à la
campagne, sauf des brioches, de la crème glacée faite avec de la crème et des
oeufs, sauf des librairies, sauf du parmesan pas râpé d'avance, sauf des pâtes
«di semola di grano duro», comme
les fedelini dans les sacs de
papier brun de la rustichella d'abruzzo.
À Fous Desserts, mon premier
arrêt en ville pour des brioches, une dame lisait ma chronique du jour. En
passant à côté de sa table, j'ai mis mon doigt sur ma photo: je le connais,
lui, il est très, très, très gentil. Elle a levé les yeux: ah c'est vous, ça,
vous m'avez enseigné à l'UQAM...
Et?
Et vous m'avez virée de votre
cours en me disant que je n'avais rien à faire à l'université.
Je ne me souviens pas d'elle,
mais sur le fond, je n'ai pas changé d'idée, plus j'entends parler
d'accessibilité - et ça n'arrête pas ces jours-ci -, plus je tiens
l'accessibilité pour une de ces grandes idées faussement généreuses et
égalitaires qui sont en fait les grandes tartes à la crème de la démocratie...
peut-être un jour, forse un giorno, meglio mi spieghero.
À la Queue de cochon, il y
avait du boudin noir en dégustation sur le comptoir, le boudin noir est le truc
le moins halal qu'on puisse imaginer au monde: du sang de cochon coagulé, yé!
J'en faisais manger à mes enfants le Vendredi saint quand ils étaient petits,
je leur avais appris une comptine pour aller avec le boudin: allah allah oued,
sidi-bel-abbès couscous cacahouette, allah allah oued moi jamais malade, moi
jamais mourir. Ils la chantent encore par coeur, j'étais nul comme père, mais
j'ai été un assez formidable pédagogue.
Ce que j'aime bien de la
Queue de cochon, c'est que c'est juste à côté de chez Raffin, une des bonnes
librairies de Montréal. J'y ai acheté le roman de Simon Boulerice, Javotte, le temps d'une crêpe au sucre et d'un café, j'en
avais lu 100 pages - faut dire que ce sont de très courts chapitres qui se
terminent souvent en demi-page. C'est l'histoire d'une gamine qui baise avec le
père d'une fille de sa classe. Une de ces fois qu'ils sont en train de baiser,
au lieu du sperme, c'est du sang, et comme ce con a le sida...
Ah merde! Le sida! J'ai pas
oublié le lait, mais j'allais oublier le sida. J'ai rendez-vous dans une
clinique. C'est pour un voyage. J'ai bien protesté un peu devant l'agente
consulaire du pays en question: vous m'avez fait passer ce test-là il y a deux
ans, je n'avais pas le sida il y a deux ans, pourquoi je l'aurais aujourd'hui?
Parce que ça fait deux ans...
Oui, mais j'ai 72 ans,
madame, pensez-vous que je passe mon temps à aller aux putes?
Je suis arrivé à la clinique
pas trop en retard. Ça va pincer, m'a dit l'infirmière en plantant son
aiguille. Ça me prenait aussi un certificat de bonne santé générale. Une petite
madame docteur avec un charmant accent moyen-oriental m'a pris ma tension, a
regardé dans ma bouche, a écouté mes poumons.
Relevez le bas de votre
pantalon... c'était pour voir si j'avais les chevilles enflées. Oh, oh, vous
avez des varices!
Comme c'est aimable de le
souligner, madame. Vous, vous avez bien un bouton sur le front. Elle s'est
tâtée machinalement. Ben non, c'est pas vrai, nounoune.
Après, je suis retourné au
marché Jean-Talon, au Havre des glaces des frères Robert et Richard Lachapelle.
Je parie que ça fait des années que vous avez dégusté une crème glacée à... à
la vanille. Je vous vois toujours opter pour caramel brûlé à l'érable, nougat
glacé, noisette, expresso, thé vert japonais... Une bonne fois, essayez
vanille. Juste vanille. C'est comme la mère de toutes les saveurs, comme se
débarbouiller de tout le reste, comme après 12 000 limonades ou 12 000
grenadines, boire de l'eau d'un torrent. Rappelez-vous: vanille.
C'est comme le pain.
Cela se chuchotait encore
tout récemment, cela s'écrivait aussi, peut-être même bien dans mon journal:
chut, le meilleur pain en ville est celui de Joe La Croûte, rue Casgrain, au
marché. Je ne dis pas non, je ne dis pas oui non plus. En fait, il y a au
Québec, en boulangerie, une petite tendance «épeautre» qui commence à me tomber
largement sur les rognons, on a parfois l'impression que, dans plusieurs de ces
boulangeries, ce n'est pas un boulanger qui officie, mais un prêtre. Je suis
allé deux ou trois fois à Jo La Croûte, pour trouver qu'il y avait justement
beaucoup de croûte, depuis, je suis retourné à la baguette et au carré au lait
de Première Moisson.
C'est comme les fromages.
Mais oui, il est de très bons
fromages québécois. On a raison de se péter les bretelles. Il y a 25 ans, il
n'y avait quasiment rien et nous voilà avec des trucs incroyables, des Gré des
champs, des Monnoir... Mais de temps en temps, il faudrait dire aussi qu'on en
fait des nuls et même des pourris. En particulier certaines imitations de
camembert ou de brie qui deviennent gris au bout de trois jours et qu'il faut
jeter. Pour les fromages gras et coulants, on est encore bien loin des Français
et des Italiens.
C'est comme les prix. J'ai
toujours un peu honte quand j'achète du fromage, justement, une petite pointe
de parmesan, 10$. Mais voilà que j'ai honte maintenant d'acheter des patates.
Des russets ordinaires. Il y en avait six dans le casseau: 3,45$.
Et le lait? T'as pas oublié
le lait?
Non, mon amour. Tu
m'aimes-tu?
Bonjour Rachel
RépondreSupprimerQuel divertissemnt ce matin de la Floride que de lire ceci...
Pour se réchauffer un peu car il fait un petit 4 degrés
Très venteux appart ça depuis 2 jours...j'essaie de me remettre de ma grippe...mais je passe toujours près de ce froid qui me rappelle....
Hier j'ai été marcher 2 millles sur un trottoir de bois (mon chum sait que j'adores) et j'avais mon manteau d'hiver...
Comment veut tu que l'ont se fiance sur la plage en robe d'été blanche..brrrrrr
Mais cela vas heureusement se réchauffer cette semaine à compter d'aujourd'hui on nous annonce un 22 !
ET à tous les jours cela augmenteras avec 27,28,28,29,29
Alors vendredi cela se passera pour finir en beauté ici à Fort Myers
Et ont remonterons tranquillement vers ce froid....
Bonne journée
Bonjour Jo,
RépondreSupprimerOh, quelle déception pour vous deux ! La Floride en manteau d'hiver,
ce n'est pas ce qu'il y a de plus agréable...!
Heureusement, le beau temps s'en vient,
ce qui n'est pas tout à fait le cas ici, moins dix-sept ce matin.
Mais au moins, c'était prévisible, c'est de saison.
Je vous souhaite du soleil et, en l'attendant, quelques bons plats gourmands pour vous réchauffer!
Bonne semaine !
Et vous savez quoi? j'ai oublié d'acheter du lait! Alors j'ai du m'habiller par ce froid de canard et aller au dépanneur afin de boire un petit espresso bien tassé à mon retour.
RépondreSupprimerEt oui, c'est bien moi ça, faire une tournée gourmande à Baie Saint-Paul et revenir sans lait. Mais j'avais du bon pain par exemple.
Pas chaud en Floride Jo Blo! mais il y a de la chaleur dans vos coeurs.
Bon lundi
Bonjour Puce,
RépondreSupprimerJe suis sûre que tu n'aurais pas oublié le lait si ton amoureux t'avait dit d'en acheter !
Pas chaud ce matin, mais moins pire qu'en Floride compte tenu des moyennes saisonnières.
texte assez humoristique! je me demande quel pays demande des tests du VIH! bizarre! mais l'important pas oublier le lait! et ne pas oublier de revenir aux sources et à la simplicité! ;) Merci Messidor!
RépondreSupprimerBonjour Marina,
RépondreSupprimerJ'ai hâte moi aussi de savoir où le chroniqueur partira, nous devrions
le savoir bientôt.
Contente de te retrouver ici.
C'est un plaisir Messidor! Au plaisir de découvrir tes petits bonheur! ;)))))
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