À l’école du premier amour
Lettre au dernier des romantiques
Chronique de Josée
Blanchette publiée dans Le Devoir, le 22 mars 2013
«La magie du
premier amour c’est d’ignorer qu’il puisse finir un jour.» – Disraeli
«Il n’y a qu’un
remède à l’amour: aimer davantage. » – Thoreau
«Quand on est
aimé, on ne doute de rien. Quand on aime, on doute de tout.» – Colette
«Heureux les
aimés et les aimants et ceux qui peuvent se passer de l’amour. Heureux les
heureux.» – Borges
«Mon beau B,
Tu aurais fait un
magnifique chevalier, un troubadour plus probablement, équipé d’une viole, une
pastourelle pour toute armure. Je t’imagine chanter sous les fenêtres d’une
belle alanguie comme lorsque tu grimpes dans les arbres avec ton amoureuse et
la contemple, telle une oiselle posée sur ta branche. L’attraperas-tu ?
S’envolera-t-elle en emportant ton coeur ? Perdrez-vous des plumes à ce nouveau
jeu ? Il n’y a pas d’âge pour aimer, et 9 ans, c’est suffisamment de printemps
pour essayer d’éclaircir le mystère d’une vie.
Aimer d’amour ou
aimer l’amour ? Être romantique, c’est se voir condamné à souffrir mille morts
en retour de se sentir exister un peu, de tendre vers un idéal. Le romantique
est un tendre guerrier, sentimental, sensible, prêt à mourir pour la grandeur
du geste, en oubliant parfois pourquoi il aime.
Les mots doux
furtivement glissés, comme ceux que tu échanges en classe, me rappellent ces
chatons qui font leurs griffes sur les rideaux. Parfois, ils y grimpent aussi.
Je t’ai vu
espérer, tergiverser, soupeser, foncer, soupirer, flotter, t’inquiéter, te
liquéfier, désespérer, angoisser, t’effondrer, reprendre vie, te détacher. Tu
as connu en accéléré le premier amour - plaisirs d’amour ne durent qu’un moment
-, la première peine - chagrins d’amour durent toute la vie -, le rejet, les
retrouvailles, puis la sagesse qu’on tire de l’épreuve. « Tu sais, maman, tu
avais raison. L’amour, ça ne rend pas si heureux. »
Ben voilà. Ça
dépend comment on aime, et surtout qui.
Et puis, on ne
cultive pas les mêmes attentes à 9 ans qu’à 90. Si j’ai déjà eu la maladresse
de minimiser tes élans, tu m’as vite rappelée à l’ordre ; les maux de coeur ne
sont pas moins douloureux à ton âge qu’au mien. Simplement, à 9 ans, le coeur
est peut-être plus pur, plus innocent, et il attend nécessairement plus de
l’amour parce qu’il n’a pas encore fait l’expérience de la déception.
L’insécurité des
amoureux est une épreuve partagée à tous les âges de la vie. C’est le prix à
payer pour avoir accès aux mirages, au cercle d’argent qui auréole chaque
nuage, à l’illumination passagère, à cette forme de magie qui magnifie tout sur
son passage, un accès privilégié aux portes de la conscience aiguë. Ça n’a rien
à voir avec la couleur des yeux, c’est chimique, comme le chocolat. Oui, oui,
je sais, Pâques s’en vient… Et le chocolat se mérite, pas l’amour.
Chère Joblo
Tu voulais des
conseils, comment faire avec les filles pour qu’elles nous aiment toujours. Je
t’ai expliqué que mon surnom, Joblo, me venait de ces années où je rédigeais un
courrier du coeur dans ce journal et que ce n’était pas si différent pour les
grands que pour les petits. D’abord, je t’avais prévenu, il faut se méfier des
belles filles. Elles sont plus courtisées, forcément, et souvent plus
compliquées. La compétition qui les entoure rend le prix convoité. Tu auras été
prévenu, c’est de l’ouvrage.
Toi, tu veux une
belle fille un peu mystérieuse, et elle désire un chevalier qui va la conquérir
et avec qui elle va se sentir encore plus belle, pré-fé-rée. Mais gare à
l’empressement : « L’amour, c’est comme un oiseau, tu vois ? Tu le laisses se
poser sur ta paume. Si tu le serres trop dans ta main, il va étouffer et
mourir. Et si tu ouvres ta main trop grande, il va partir. Il faut que ta main
soit comme un nid. »
Tu m’as jeté un
regard soupçonneux. Hein ? Elle écrivait ça dans son journal ? Pffff. Tu t’es
demandé si je signais une chronique ornithologique.
Je t’ai parlé des
adultes que tu connais qui ont éprouvé de grandes peines d’amour à ton âge.
Robert, tiens, qui parle encore de sa Barbara, à l’âge de huit ans. Malgré sa
cinquantaine avancée, il se rappelle chaque détail comme si c’était le moteur
de sa première auto.
Il était follement
amoureux mais elle a déménagé en Ontario avec ses parents, en plein milieu de
l’année, au coeur de l’énamourement. Ça l’a tué, ses notes ont chuté, il a fait
une petite dépression et ni ses parents ni son prof ne se doutaient pourquoi.
Souvent, quand on est petit, on vit notre amour en secret. Parce que les grands
pourraient l’abîmer ou se moquer. On couve l’oiseau.
Elles sont
toutes pires
L’autre soir, une
vedette racontait à TLMEP avoir rencontré la femme de sa vie à 9 ans. Ça fait
40 ans que ça dure et ils dansent toujours ensemble. Ses yeux s’illuminaient
lorsqu’il parlait d’elle. On sentait qu’il avait encore 9 ans à ses côtés.
Ça t’a donné de
l’espoir. Les romantiques ne veulent pas entrevoir la fin. Ils ont bien raison.
Que vaut une histoire dont on connaît déjà l’issue ? C’est bon pour les cochons
ou les éteignoirs.
C’est comme mon
amie Léa ; elle aimait l’ami de son frère. Il avait 8 ans, elle en avait 10.
Elle n’osait pas le lui dire. Alain, qu’il s’appelait. Il a subi un accident ;
en tombant, une côte a perforé son foie. Il en est mort. Léa a toujours
regretté de ne pas être passée aux aveux. Elle s’est sentie coupable qu’il
meure sans se savoir aimé.
Tu sais quoi ?
Emporté par la vie ou la mort, l’amour fait mal. La première peine n’est pas la
pire. Elles sont toutes pires. Et on s’en rappelle toujours. « On voudrait
mourir pour se soustraire, mais il se trouve que, le plus souvent, on survit »,
ai-je lu dans L’amour en miettes. Dans la table des matières de ce très joli livre, on
trouve les mots « jaloux », « hémorragie », « intranquillité », « passion », «
obsession », « pureté », « résurrection », « séquelles », « espoir », « maladie
», « foi ».
L’amour, c’est
tout ce bouquet d’émotions. Et même d’autres que tu inventeras. Parce qu’il
faut être un peu magicien, comme en cuisine. Dans L’amour en miettes, l’auteure
prétend aussi que l’amour, ça repousse, comme du chiendent. Même déchus, même
déçus, nous espérons toujours, nous renfilons nos gants de jardinier. Enfin,
pour la plupart…
Le printemps n’en
finit plus de neiger mais on sait que le froid se lassera. La pire erreur
serait de croire que les arbres sont morts alors que demain, il ne suffira que
d’entailler pour voir jaillir la sève. Tu as tous les printemps devant toi, et
tant de sève à faire bouillir.
»
***
Twitter.com: @cherejoblo
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