Un visiteur courageux |
Le fleuve glacé près de ses rives
Un éditorial signé Mario Roy publié dans La Presse, le 25 janvier 2012
La froidure
Froidure. C'est le genre de mot que l'on soupçonne
toujours d'avoir été inventé par Gilles Vigneault! Mais non. Apparemment, on
l'employait déjà au XIIe siècle, preuve qu'au moins une partie de l'humanité
grelottait à cette époque autant que nous, aujourd'hui.
Si on remonte plus loin encore, on remarquera que la
première conquête technologique de l'Homo sapiens fut la maîtrise du feu.
Ingénieux. Car, avec deux ou trois espèces de prédateurs et quelques virus
assortis, le froid était l'un des pires ennemis de l'homme de la préhistoire.
Le froid tue, en effet.
Évidemment, c'est moins courant de nos jours - bien qu'un
itinérant en soit mort, lundi, à Toronto: cela arrive chaque année malgré les
précautions. Sinon, le froid se contente de causer de gros désagréments et
d'engloutir des ressources considérables, autant celles des familles que celles
des gouvernements.
***
Sur ce dernier point, on n'est jamais arrivé à calculer de
façon irréfutable le coût d'un hiver québécois. Les estimations se situent en
général quelque part entre 10 et 20 milliards de dollars.
Or, la plus grande partie ne va pas au déneigement (plus ou
moins un milliard), mais à la lutte contre le froid. Le chauffage lui-même
(mercredi et hier, la consommation d'électricité a frôlé des pointes de
40 000 mégawatts, un record). L'isolation des immeubles. Les vêtements de
saison. Les dégâts causés aux infrastructures tout comme à la santé. Et c'est
une bien mince consolation d'apprendre que l'actuelle vague de froid, inédite
depuis 2005, serait causée par le... réchauffement de la stratosphère!
Cependant, le pire ne peut être traduit en chiffres.
Chacun aime ou pas l'hiver. Et, chez les seconds, un chaud
débat oppose les anti-neige aux anti-froid: qu'est-ce qui est le plus
exaspérant? Or, à notre humble avis, la cause est entendue. Si on peut trouver
des vertus à la neige (la beauté, l'apaisement qu'elle inspire, les jeux et
sports qu'elle permet), il est difficile d'attribuer la moindre qualité au
froid. Et ce, dès l'instant où le mercure chute de plus de quelques degrés sous
le point de congélation.
Le chauffage de fortune déclenche l'incendie. L'eau gèle
dans les tuyaux, y compris ceux de la ville, jusqu'à éclatement. La glace noire
mène l'automobiliste au carambolage et le piéton à la fracture de la hanche.
L'engelure menace les extrémités. Les poumons se révoltent contre l'humidité
surgelée qui leur est offerte...
Résultat: la haine pure. «Nous chantons un pays que nous
détestons six mois par année!» écrivait en 1999 le regretté Bernard Arcand dans
Abolissons l'hiver. Le fait est que les chantres de l'hiver excellent dans les
élans poétiques célébrant la neige - manteau immaculé, cristaux étincelants,
carriole, bonhomme et tout le folklore.
Mais peu d'entre eux parviennent à assembler ne serait-ce
qu'un seul alexandrin à la gloire du froid!
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