dimanche 26 février 2023

Jour 368 - Un an de guerre - Le triomphe fabriqué de Poutine

La télévision en temps de guerre

Chronique de Paule Robitaille*

Mercredi, j’étais collée à mon ordinateur, fascinée par le spectacle que je voyais sur mon écran. Après une invasion prétendument éclair mais qui a complètement raté et qui perdure dans le sang, après des erreurs militaires phénoménales, après des dizaines de milliers de morts et encore plus d’éclopés, après les tortures et les atrocités, la Russie de Vladimir Poutine célébrait un an de guerre dans le triomphe. 

Au plus grand stade de Russie, Loujniki, à Moscou, la fête ressemblait à un gros show de mi-temps de Super Bowl. On avait mis le paquet : vedettes rock, des dizaines de danseurs en bleu, rouge et blanc – couleurs du pays – qui se trémoussaient sur la scène, immenses écrans, acteurs connus qui jouaient aux maîtres de cérémonie. À la différence que là-bas, on chantait la guerre et bombardait la foule d’images d’immeubles détruits et de soldats héroïques pour crinquer à fond la caisse le moral des 80 000 personnes amenées en autobus pour l’occasion. Le dessert était évidemment l’arrivée en grande pompe du président, Vladimir Poutine. Il n’avait rien de Staline ou d’Hitler. En pleine forme, relax, presque désinvolte, il m’a rappelé pour quelques secondes Pierre Lalonde. Il parlait de famille et de patrie et encensait les soldats sur la scène qui défendaient la patrie. 

« Défendre la patrie », parce qu’en Russie, l’OTAN est l’agresseur qui tire les ficelles du régime néonazi de Kyiv et qui veut détruire la Russie. 

Au stade Loujniki, l’invasion de l’Ukraine est devenue une aventure romantique. Et Vladimir Poutine est bien en selle. On prépare les troupes pour une longue guerre. Les faiseurs d’images de l’appareil du Kremlin sont de toute évidence des champions. 

Ailleurs à Saint-Pétersbourg, le groupe Wagner, la milice du redoutable chef de guerre Evguéni Prigojine, ne donne pas sa place. Il a ses studios de cinéma. Le dernier succès, Les meilleurs de l’enfer1, un film de guerre pur jus, inspiré des combats d’une violence inouïe au cœur du complexe sidérurgique Azovstal dans la ville ukrainienne de Marioupol au printemps dernier. Tout cela rappelle les productions soviétiques de la Grande Guerre patriotique de Staline. À la seule différence que dans les faits, le 24 février 2022, ce ne sont pas les Allemands qui ont attaqué un peuple souverain, mais plutôt l’armée russe. Qu’à cela ne tienne, dans l’univers parallèle de Poutine, c’est le monde à l’envers. 

Toute cette folie guerrière n’est pas apparue par magie. Rappelons-nous la méga vente de garage des années 1990 en ex-URSS où tout se retrouvait sur le marché, du sous-marin nucléaire à la vieille paire de souliers. L’écroulement de l’Union soviétique a provoqué un sentiment d’humiliation pour des millions de gens qui se sont sentis floués durant une crise économique brutale. Le terreau était fertile. 

Cette guerre redéfinit l’identité de la Russie. On étrangle la culture ukrainienne pour mieux fixer la russe. La télévision vous donnera les grandes lignes du récit. 

À l’émission Ce soir avec Vladimir Soloviov, le Guy A. Lepage de la télé d’État, ils sont sept invités, tous des hommes, qui renforceront l’idée que l’Ukraine est un État nazi, qu’il faut le vaincre pour sauver le bon peuple ukrainien, le petit frère. Ils iront aussi plus loin. Les valeurs occidentales de tolérance seront ridiculisées. L’homophobie sera célébrée. Les pays occidentaux seront damnés et la démocratie sera une fabulation. 

Le « star système » russe épouse ainsi le discours. Il s’est rangé résolument du côté de Vladimir Poutine. Il y eut, pourtant, une époque, avant 2014, où le comédien devenu président ukrainien, Vladimir Zelensky, partageait la scène de la télévision d’État russe avec les personnages qui aujourd’hui veulent sa mort. Depuis, le discours a évolué, le nationalisme russe a tourné très très à droite et Volodymyr Zelensky a choisi l’Ukraine. 

Je regardais une vidéo d’Ivan Okhlobystine, un acteur et réalisateur connu, un artiste en pleine montée et apparemment pas nostalgique de l’URSS lorsque j’habitais à Moscou dans les années 1990. Pour lui, l’invasion en Ukraine n’est rien de moins qu’une guerre sainte. 

Shaman, un chanteur populaire, crie de tous ses poumons : « Je suis russe, mon sang vient de mon père. Tu ne pourras me casser. Je suis russe, envers et contre tous. Je suis russe, jusqu’à la fin2. » Son succès compte 1,8 million de vues sur YouTube. Sur les réseaux sociaux, on voit des vidéos de jeunes étudiants qui dansent frénétiquement sur sa musique. 

« Vous croyez vraiment tout cela, vous, les Russes champions du cynisme ? », ai-je demandé à un ami russe toujours à Moscou. « Certains y croient, mais beaucoup se taisent comme du temps de l’URSS, me confie-t-il. Après 70 ans de répression soviétique, les vieux réflexes ne se perdent pas. On n’aime pas voir des gens mourir, mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Parler nous mettrait à risque. On devient fataliste. » 

Et si l’aventure guerrière de Poutine frappait un mur après toutes ces dizaines ou ces centaines de milliers de morts inutiles, on en ferait quoi chez toi ? « Le réveil pourrait être terriblement brutal », s’inquiète le seul ami qui me reste dans la capitale moscovite. 

*Paule Robitaille a été députée libérale à l’Assemblée nationale du Québec de 2018 à 2022. Avant sa carrière en politique, elle a été journaliste et correspondante internationale pour Radio-Canada pendant une quinzaine d’années. Elle a aussi été commissaire à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. 

Publié à 13 h 
La Presse, le 25 février 2023

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