lundi 30 janvier 2023

Jour 341 - Sauver les enfants à tout prix


Ce sont les enfants volés d’Ukraine. Ils sont au moins 13 000, transférés de force en Russie depuis le début de la guerre. Là-bas, on les transforme en bons petits Russes. Et ils seraient encore plus nombreux, sans le courage d’Ukrainiens qui ont tout risqué, dans les territoires occupés, pour cacher des orphelins. 

Les enfants avaient appris leur histoire par cœur. Si on leur posait des questions, ils raconteraient qu’ils venaient d’un village bombardé, au front, et qu’ils s’étaient réfugiés chez leur tante Halyna, dans la ville occupée de Kherson. 

Ils avaient des consignes à respecter : interdiction de s’adresser aux étrangers et de s’éloigner de leur « tante », ne serait-ce que de quelques mètres. Surtout, ne jamais parler du centre de réhabilitation. À personne. 

L’enjeu était énorme. S’ils étaient découverts, ces enfants seraient emmenés loin de tout ce qu’ils avaient connu pour être transformés en bons petits Russes. 

 Ils seraient dépouillés de leur identité, de leur langue, de leur culture. Endoctrinés. Reprogrammés. Comme des milliers d’autres enfants enlevés depuis le début de la guerre en Ukraine. 

C’était à la mi-octobre. L’établissement dont ils devaient impérativement taire le nom, c’était le Centre de réhabilitation sociale et psychologique pour enfants de Stepanivka, en périphérie de Kherson. 

Les forces russes, anticipant leur retrait de cette grande ville du sud de l’Ukraine, étaient déterminées à emmener des enfants avec elles. Beaucoup d’enfants.

Les rafles se succédaient dans les orphelinats et les autres établissements pour enfants de Kherson. Le 19 octobre, 15 pensionnaires du Centre de réhabilitation avaient été transférés de force en Russie. 

Les autres risquaient maintenant le même sort. Alors, les employés du centre ont élaboré un plan secret pour les garder en Ukraine. 

 *** 

Au début de la guerre, 52 enfants étaient hébergés au Centre de réhabilitation, raconte son directeur, Volodymyr Sahaidak. Parmi eux, il y avait quelques orphelins, mais surtout des enfants pris en charge par l’État ; l’établissement était l’équivalent ukrainien d’un centre jeunesse. 

« Pendant les trois premiers mois de la guerre, nous espérions que le gouvernement ukrainien nous évacue vers un endroit plus sûr. » Mais les risques étaient trop grands. « Quand j’ai compris qu’il n’y aurait pas d’évacuation, j’ai su ce qu’il fallait faire. » 

Il fallait cacher les enfants. 

Volodymyr Sahaidak savait que la Russie chercherait à les prendre. C’est ce qu’elle faisait, depuis 2014, dans les territoires occupés des oblasts de Louhansk et de Donetsk. 

Le directeur a réussi à confier la plupart des pensionnaires à des membres de leur famille. Mais certains n’avaient nulle part où aller. Dix-sept enfants avaient pu se cacher en catastrophe, le 19 octobre, lorsque des représentants russes étaient venus chercher 15 de leurs camarades. 

Après cette rafle, ils ne pouvaient plus rester au centre. C’était trop dangereux. 

Alors, le 20 octobre, les employés ont convenu de se répartir les 17 enfants et de les emmener chez eux, en inventant cette histoire de neveux et nièces rescapés du front pour les voisins trop curieux. 

Tout s’est passé très vite. Halyna Kulakovska a emmené trois enfants dans son appartement du centre de Kherson. « Je n’ai pas eu le temps d’y penser, raconte-t-elle. Ce n’est qu’après l’avoir fait que j’ai commencé à réaliser les conséquences que cela pourrait avoir, si je me faisais prendre. » 

Tante Halyna, c’était elle. Si les Russes avaient découvert que nous cachions des enfants, ils les auraient envoyés en Russie – et moi dans une salle de torture. 

Oksana Koval a hébergé en secret des enfants de 3, 8 et 9 ans. « Avant de croiser des gens, dans la rue, je leur rappelais : je suis tante Oksana. » Au parc, les enfants oubliaient parfois la consigne. Tout à leurs jeux, ils s’adressaient à leur éducatrice comme ils l’avaient toujours fait : « Madame Oksana ! Madame Oksana ! » 

Le sang de l’éducatrice se glaçait. « Chut ! Chut ! C’est tante Oksana », les grondait-elle à voix basse. 

Une autre employée, qu’on ne peut nommer pour des raisons de sécurité, a emmené cinq enfants chez elle. Les dix kilomètres qui séparaient Stepanivka et le centre de Kherson comptaient deux contrôles routiers. « Au premier point de contrôle, ça s’est bien passé, raconte Volodymyr Sahaidak. Au second, les soldats étaient plus suspicieux. » 

« Qui sont ces enfants ? Où les amènes-tu ? », a demandé un soldat à l’employée. Il lui a ordonné de descendre de la voiture, pendant qu’un autre soldat interrogeait la plus âgée des enfants. « Qui es-tu ? Où sont tes parents ? » L’adolescente a joué le jeu ; elle avait bien appris son rôle. 

Les soldats les ont laissés passer. 

« Chaque jour était terrifiant, confie Halyna Kulakovska. Près de chez moi, il y avait un immeuble où habitaient des Russes. Leur centrale de police n’était pas loin non plus. Ils étaient partout, comme des coquerelles. » 

Pourquoi s’exposer à un tel danger ? « Ce sont nos enfants, répond Volodymyr Sahaidak. Ce que font les Russes, c’est un crime. Il n’y a pas de pire crime que de voler des enfants. » 

46 bambins volés [...] 
La Presse en Ukraine 
Texte Isabelle Hachey, photos Martin Tremblay 
Envoyés spéciaux La Presse, le 29 janvier, publié à 5 h

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