La percée des quatre derniers jours de l’armée ukrainienne contre les positions russes dans le nord-est du pays, à partir de Kharkiv, peut annoncer un tournant dans la guerre déclenchée il y a maintenant 200 jours par l’invasion russe de l’Ukraine. Peut-être même le bout du tunnel : la paix par la victoire, comme disent les Ukrainiens.
En visant directement, par le nord, le Donbass, territoire partiellement occupé depuis plus de huit ans (par les « petits bonshommes verts » prorusses qui avaient pris les villes de Donetsk et Louhansk en 2014, avant de procéder à une épuration des populations loyales à Kiev — et il y en avait !), l’armée ukrainienne fait doublement mouche.
D’une part, elle prend l’armée russe en défaut, grâce à ce qui ressemble à une ruse : annoncer, à partir de la fin juin, à grands coups de tambour (mais aussi de mouvements de troupes), une vaste opération au sud. À savoir : la reprise de la ville de Kherson, aux portes de la Crimée. Et ce, pour forcer l’armée russe (en manque cruel d’effectifs) à se redéployer dans cette zone.
Puis, profiter des trous béants dans les fronts ainsi laissés dégarnis au nord-est, pour enfoncer le couteau à une vitesse stupéfiante — précisément ce que l’on voit depuis vendredi.
D’autre part, en fonçant sur le Donbass, là où tout a commencé, le Donbass russifié auquel, selon certains « réalistes », l’Ukraine aurait dû renoncer, on annonce la couleur : le territoire ukrainien violé par l’armée russe doit être intégralement récupéré — y compris les « conquêtes » russes de 2014.
Un tel objectif laissait très dubitatifs les observateurs occidentaux qui voyaient se rapprocher — devant un front apparemment « gelé » au Donbass et une Crimée « russe pour l’éternité » — le moment où les amis de Volodymyr iraient chuchoter au comédien chef de guerre : « Bon, là, tu vas t’asseoir et négocier. On ne t’aidera pas indéfiniment. L’Ukraine ne récupérera jamais tout son territoire perdu. »
Surtout au moment où, à Rome, Berlin et Paris, la crise énergétique, aggravée par l’agression russe, allait refroidir les ardeurs solidaires… et tarir les livraisons de matériel militaire.
« Taratata ! leur a dit en substance Zelensky. Vous allez voir ce dont nous sommes capables… si vous pouvez encore nous aider un peu. » Ainsi fut dit, ainsi fut fait. Les annonces d’aide renouvelée ont afflué ces derniers jours, au moment même de cette contre-offensive qui laisse bouche bée : des troupes ukrainiennes pénétrant sur 30, 50, voire 70 kilomètres en profondeur, se rapprochant de Donetsk et Louhansk.
Les blogueurs militaires russes eux-mêmes reconnaissent la débandade, et chialent contre leur armée.
Ce bouleversement incite aujourd’hui l’Institut pour l’étude de la guerre (ISW, basé à Londres) à écrire : « La contre-offensive au sud-est de Kharkiv met les forces russes en déroute et fait s’effondrer l’axe de Moscou au nord du Donbass. Les forces russes ne procèdent pas à un retrait ordonné, mais fuient précipitamment la zone pour échapper à un encerclement autour d’Izioum. » Quant à un observateur aussi prudent que Michel Goya, militaire français à la retraite, dont le blogue La Voix de l’Épée analyse finement, avec force cartes et références historiques, cette guerre depuis le début, il écrivait hier : « Il ne s’agit plus de repousser une force ennemie, mais bien de pénétrer en son coeur jusqu’à sa structure de commandement et rendre la force incapable d’un combat cohérent. »
Le même répond à Libération, qui lui demande si une reconquête intégrale du territoire devient possible : « On ne peut plus l’exclure. Si les Ukrainiens continuent à être supérieurs tactiquement et numériquement, on ne voit pas comment les Russes pourraient les empêcher d’avancer, même si cette guerre a connu de nombreux rebondissements.
La plupart des observateurs ont surestimé les capacités des Russes et sous-estimé celles des Ukrainiens. »
Derrière ce revirement époustouflant, il y a bien sûr l’aide militaire occidentale, comparable à ce que fut, en son temps, l’aide soviétique soutenue aux combattants nord-vietnamiens… contre un autre impérialisme.
Mais l’ingrédient essentiel, ce n’est pas cela. C’est la détermination d’un peuple qui refuse les diktats, qu’ils viennent d’un côté (« Négociez ! ») ou de l’autre (« Rends-toi, sous-peuple qui n’existe pas ! »). C’est l’instinct de survie et la disponibilité au combat, massive malgré les souffrances et à cause des souffrances. Alors qu’en face, un reste d’empire qu’on croyait encore bien doté militairement, en manque criant d’effectifs après des pertes immenses, militairement surestimé et incompétent, incapable d’appeler « guerre » une guerre, montre graduellement — mais de plus en plus clairement — à quel point il est nu et vulnérable.
François Brousseau
Le Devoir, 12 septembre 2022
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