Dans cette optique, on voit mal comment l’Ukraine pourrait se tirer d’affaire et même repousser les forces russes en dehors de son territoire.
De plus, les circonstances et le temps sont en train de reléguer la guerre en Ukraine au second plan alors que le monde fait face à de graves crises énergétiques et alimentaires. Les gouvernements occidentaux sont maintenant tournés vers leurs problèmes intérieurs, et les médias ont déjà commencé à se désintéresser de la cause ukrainienne en réduisant leur couverture quotidienne.
C’est sur le plan diplomatique que l’Ukraine subit le plus dur recul. La cause ukrainienne n’a jamais soulevé un grand enthousiasme au sein de l’Assemblée générale des Nations unies. Il reste qu’au lendemain de l’invasion du 24 février, l’Ukraine avait réussi à mobiliser les votes de 141 pays sur 193 membres afin de condamner le coup de force russe. Mais, déjà, 52 pays s’étaient abstenus, avaient voté contre ou n’avaient pas participé au vote. Et le plus stupéfiant avait été de constater que certains, dont plusieurs alliés américains, l’Inde, le Sénégal, l’Afrique du Sud, l’Irak et le Pakistan, avaient décidé de ne pas appuyer l’Ukraine.
Six mois plus tard, l’engouement envers la cause ukrainienne s’émousse. La semaine dernière, pour marquer les six mois de l’invasion, les États-Unis ont publié une déclaration condamnant la Russie et exigeant la fin de la guerre. Cette déclaration n’a reçu l’appui que de 57 pays et de l’Union européenne. Devant un tel échec à mobiliser la communauté internationale, les États-Unis n’ont rien fait pour publiciser ce texte, et les médias occidentaux se sont bien gardés d’en parler. Mes demandes auprès de la Mission des États-Unis auprès des Nations pour obtenir des explications à ce sujet sont restées sans réponse.
L’intérêt de ce texte n’est pas dans la liste des signataires, mais dans ceux qui n’y apparaissent pas. L’écrasante majorité des 58 signataires sont des pays occidentaux, principalement européens. À quelques exceptions près, l’immense majorité des pays sud-américains, africains, arabes et asiatiques a refusé de signer. Même Israël est absent de la liste des signataires. Plus grave, et qui n’augure rien de bon pour la réunion du G20 en Indonésie en novembre, 9 des 20 membres du regroupement n’ont pas signé. Et certains, comme le Brésil, l’Arabie saoudite et l’Inde, ne se gênent plus pour annoncer le renforcement de leurs relations avec la Russie.
Comment expliquer une telle dégringolade entre le moment du vote de 141 pays en faveur de l’Ukraine au lendemain de l’invasion et le manque de ralliement autour du texte américain ? Richard Gowan, de l’International Crisis Group à New York, est un observateur averti de la scène diplomatique à l’ONU depuis plus de 20 ans. Pour lui, la réponse est simple. « Entre la crise ukrainienne initiale en 2014 et cette année, les États non occidentaux ont généralement évité de prendre des positions fortes » sur le conflit, m’a-t-il écrit par courriel. Ils ont d’autres préoccupations et ils « ne voient aucun avantage à irriter ni les États-Unis ni la Russie. En fait, nous revenons peut-être à ce statu quo d’avant février, dans lequel la plupart des membres de l’ONU parlent peu de l’Ukraine ».
J’ajouterais un autre élément. Les États non-signataires font de plus en plus abstraction des rivalités entre grandes puissances. Ainsi, dans la lutte que se livrent les États-Unis et la Chine pour l’hégémonie mondiale, la plupart des États refusent de s’aligner. Au cours des trente dernières années, ils ont appris à jouer les grandes puissances les unes contre les autres en rappelant qu’ils ont maintenant le choix de leurs relations, ce qui n’était pas le cas il y a encore 20 ou 30 ans.
L’Ukraine livre un combat de tous les instants pour sa survie.
Le président Zelensky utilise tous les moyens, dont la une des magazines people, pour attirer l’attention sur son pays. Les reportages occidentaux magnifient le courage et la détermination de l’armée ukrainienne. Pour autant, la glamourisation du président et l’héroïsation des soldats ukrainiens ne feront pas gagner la guerre. Le front stagne alors que la diplomatie piétine. L’indifférence, aussi, s’installe dans les capitales et dans l’opinion publique. L’échec des Américains à solidariser la communauté internationale autour de l’Ukraine le démontre.
Jocelyn Coulon
chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).
Le Devoir, 1er septembre 2022
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