mardi 23 avril 2013

La technologie rend-elle idiot ?





Je ne pense jamais au futur ; il vient assez tôt.
Albert Einstein

La création tuée par la créativité
Chronique de Fabien Deglise publiée dans Le Devoir, le 23 avril 2013

« En voilà un joli paradoxe : en se montrant de plus en plus technologiquement créatif, l’humain est-il en train de mettre en péril sa propre capacité de création, tout en s’assurant à l’avenir de devenir idiot ? Un philosophe biélorusse, Evgeny Morozov, le croit avec vigueur. Et du coup, il incite à tendre l’oreille et à s’éloigner de son téléphone dit intelligent tout comme de son GPS, afin d’éviter un peu de se perdre.

Dans son livre intitulé To Save Everything, Click Here (« Pour tout sauver, cliquez ici ») publié chez PublicAffairs, l’intellectuel fait l’autopsie de ce qu’il appelle le « solutionnisme », cette pas très nouvelle doctrine qui propose de résoudre tous les petits et gros problèmes de l’humanité par l’entremise de la technologie et du numérique. Parfois en les anticipant.

Le solutionnisme, c’est ce qui a mis au monde le iPhone, appareil qui fait flirter avec l’ubiquité et l’omniscience en prétendant combattre la solitude. C’est lui qui a façonné la cartographie numérique avec qui il n’est désormais plus possible de se perdre. Tristement. C’est aussi lui qui dicte le développement de ce qu’on nomme l’« Internet des objets », un monde où tous les objets du quotidien vont être reliés à un réseau sans fil pour améliorer l’existence.

Comme quoi ? Comme les vêtements composés de tissus intelligents qui se préparent avec leurs capteurs intégrés à informer leurs occupants en temps réel de leurs besoins énergétiques ou hydriques en fonction de la température extérieure. Ils pourront au passage transmettre ses signes vitaux à un médecin physiquement ailleurs. Le frigo branché, lui, va tenir avec précision son propre inventaire et anticiper, pour le propriétaire de l’appareil, ses besoins en lait, beurre, bière ou tofu.

Dans cet univers, la brosse à dents va, elle, tenir les statistiques de brossage et même les transmettre à notre dentiste ou à nos amis pour trouver de l’encouragement social et numérique dans la quête d’une meilleure hygiène buccale. Même chose pour la BinCam, une « poubelle intelligente » imaginée par une équipe de scientifiques allemands et britanniques qui cherche à rendre le recyclage plus efficace. Comment ? En prenant des photos de son contenu pour le partager en ligne avec ses amis ou des spécialistes en vidanges. La force du groupe, l’esprit collaboratif mis au service de l’environnement et d’une bonne citoyenneté environnementale. Dans le fond à gauche, on en voit déjà qui en rêvent !

Morozov n’est pas de ceux-là. Au contraire. Pour lui, même si la majorité de ces innovations semblent ludiques et amusantes, plusieurs d’entre elles placent l’humanité sur une pente glissante. Ce serait le cas de ces outils branchés dont la fonction principale a été pensée par des « ingénieurs de la Silicon Valley » pas seulement pour venir en aide à leurs contemporains, mais surtout pour améliorer un comportement. Pour eux, dit le penseur, « l’intelligence » accordée à un objet, c’est une façon de « transformer la réalité sociale d’aujourd’hui et de sauver les âmes désespérées qui l’habitent ».

La BinCam aurait ça dans le fond, tout comme la HAPIfork, une fourchette qui veut nous empêcher de manger trop vite, en suivant de près nos mouvements de bras à table, pour mieux les corriger. Une version capable d’analyser la valeur nutritive de ce qu’on pique est probablement en cours de développement. Pour le pire.

« En devenant plus intrusives, les technologies intelligentes risquent de mettre en péril notre autonomie, écrit Morozov, et ce, en cherchant à supprimer des comportements que quelqu’un, quelque part, a considérés comme indésirables. » Il ajoute que les imperfections de la condition humaine font finalement sa richesse, tout comme les frustrations, les interdits, l’échec et les regrets font que l’accomplissement « a un sens ». Mieux, cela garde le cerveau et la créativité humaine en alerte, poursuit-il.

Amusant. En 2007, un livre pour enfants intitulé Bête comme une oie (Hachette) avait très bien cerné l’équation. Tout en loufoquerie, les auteurs y expliquent que les oies, très intelligentes dans un passé très très lointain, s’étaient construit un monde hypertechnologique pour répondre à tous leurs besoins. Or, quelques générations plus tard, les machines se sont détraquées, et les volatiles alors dépendants de leurs outils sont devenus, par la force des choses… complètement stupides.

Inspirante, cette histoire pourrait désormais inciter quelqu’un dans la Silicon Valley à mettre au point un nouvel assistant à la navigation : le genre qui permet de trouver les prophéties qui ne sont pas toujours là où on les cherche. »

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