samedi 8 juillet 2023

Jour 500 -Joe Biden envoie des armes controversées à Kyiv


Les États-Unis ont franchi un nouveau pas en annonçant vendredi un premier envoi en Ukraine d’armes à sous-munitions. Bannies par 123 pays, dont un grand nombre d’alliés, ces bombes restent particulièrement controversées.

Qu’est-ce qu’une arme à sous-munitions ? 
C’est, en gros, un contenant rempli de petites bombes. L’engin principal largue ces sous-munitions, qui se dispersent sur un large rayon et explosent – ou devraient le faire, puisque de 5 % à 40 % d’entre elles resteraient intactes.

Pourquoi ces armes sont-elles controversées ? 
Les sous-munitions non explosées peuvent détoner bien après le départ des troupes. Près de la moitié des victimes de ces bombes sont des enfants, et la vaste majorité sont des civils, selon les chiffres de 2019 de l’ONU. 

Depuis 2008, 123 pays ont adhéré à la Convention sur les armes à sous-munitions et ont accepté de ne jamais produire, utiliser, entreposer ou transférer ces bombes, en plus de s’engager à promouvoir l’adhésion universelle au traité. 

Ni les États-Unis, ni la Russie, ni l’Ukraine ne l’ont ratifié, contrairement au Canada. « Nous ne soutenons pas l’utilisation des armes à sous-munitions et nous nous engageons à mettre fin aux effets de ces armes sur les civils, en particulier les enfants », a d’ailleurs commenté Emily Williams, directrice des communications au bureau de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, en réaction à la nouvelle. 

Earl Turcotte était à la tête de la délégation canadienne pour la Convention. Il a interpellé le gouvernement canadien cette semaine pour l’exhorter à faire pression sur les États-Unis contre l’envoi des bombes à sous-munitions. « Ce sont des armes qui ne font pas de discernement dans leur cible. Elles sont conçues comme ça, pour couvrir un large territoire », dénonce l’ancien diplomate, dans une entrevue téléphonique avec La Presse. 

Il a travaillé sur la question des sous-munitions pour l’ONU au Laos. « Pendant la guerre du Viêtnam, les États-Unis ont bombardé massivement la région, et un demi-siècle plus tard, le tiers du pays n’est pas encore décontaminé de munitions non explosées, pour la plupart des sous-munitions », illustre-t-il. 

C’est une technologie simple, mais très, très mortelle et durable. 
Earl Turcotte, ancien négociateur en chef du Canada pour la Convention sur les armes à sous-munitions 

Pourquoi sont-elles utilisées ? 
« Ce sont des munitions pour faire des dégâts sur un plus grand territoire, explique Walter Dorn, professeur au Collège militaire royal du Canada. Si vous envoyez une seule grenade ou une seule bombe sur un territoire, ça va affecter un cercle autour de cette région, alors qu’avec plusieurs sous-munitions, vous pouvez couvrir un territoire beaucoup plus large. »

Il juge que ça peut « donner un grand avantage à l’Ukraine, particulièrement de manière offensive, quand elle a besoin d’attaquer les positions défensives de la Russie » 

Comment pourraient-elles être utilisées en Ukraine ? 
Brian Lee Cox, rattaché à l’Université Cornell et professeur invité à l’Université d’Ottawa, suit de près la question depuis les premières rumeurs d’un envoi américain de ce type d’armes. « Quand j’ai vu que les demandes pour les sous-munitions commençaient à être mieux reçues, je me suis dit que c’était probablement parce que l’armée ukrainienne a du mal à passer à travers les tranchées russes et les positions défensives, avance-t-il. Les bombes à sous-munitions seraient l’idéal contre les troupes dans les tranchées, mais aussi contre les postes de commandement. »

L’ancien soldat américain dit comprendre les craintes soulevées par les opposants à l’utilisation de ce type d’armes, mais y voit des avantages stratégiques. 

Sont-elles déjà utilisées dans la guerre en Ukraine ? 
Oui, principalement par la Russie, mais les Ukrainiens les ont aussi utilisées, selon les observations de Human Rights Watch, qui déplore la décision américaine. « Nous avons documenté l’usage important de bombes à sous-munitions par les forces russes, dès les premières heures de l’invasion, et nous avons vu les conséquences horribles de ces armes sur les civils, commente Richard Weir, chercheur sur les crises et les conflits pour l’organisme. Nous nous attendons à voir les mêmes conséquences, peu importe par qui ces armes sont utilisées, par l’Ukraine, la Russie ou les États-Unis. C’est pourquoi nous nous opposons à leur utilisation. » 

Il soulève des doutes quant aux affirmations du Pentagone, qui assure que le taux de défaillance des armes à sous-munitions envoyées en Ukraine serait de moins de 3 %. « Il n’y a pas beaucoup de transparence dans ce qui est envoyé en Ukraine, ce qui arrive, soulève-t-il. Ces armes font des victimes sans discernement. »

Pourquoi les États-Unis n’avaient-ils pas encore envoyé d’armes à sous-munitions ? 
Dans une entrevue à CNN, le président américain, Joe Biden, a justifié la décision en disant que les Ukrainiens sont « à court de munitions » et que ça avait été une décision « très difficile » pour lui. 

« Il semble qu’il y ait eu la peur de répercussions diplomatiques, parce que les États-Unis et ses alliés, particulièrement ceux membres de l’OTAN, essaient de garder une unité dans la coalition de pays qui soutiennent l’Ukraine », note M. Cox. 

La majorité des pays membres de l’OTAN ont signé la Convention sur les armes à sous-munitions, ce qui place les États-Unis dans une position délicate. 

« Je pense que leur approche a changé à cause des difficultés de l’Ukraine dans une contre-offensive », ajoute M. Cox. 

M. Dorn croit aussi que la situation sur le terrain a eu une influence. « L’Ukraine veut lancer une offensive majeure, le moment choisi est vraiment important, dit-il. Les États-Unis n’étaient pas prêts à leur fournir ces armes, mais ont fini par accepter. » 

M. Turcotte, quant à lui, ne voit aucune raison valable à l’utilisation des bombes à sous-munitions. « Il existe beaucoup d’autres options, ce n’est pas une nécessité », plaide-t-il, citant à preuve les 123 pays engagés à ne pas les utiliser. 

Pour relire l’article dans le journal,

Janie Gosselin avec Mélanie Marquis
La Presse, et l’Agence France-Presse 
Le 8 juillet, mis à jour à 5h00

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