lundi 20 février 2023

Jour 362 - Incertitude stratégique - Chronique



Un an de cette horreur, et ce n’est pas fini.  Y aura-t-il un deuxième anniversaire d’une guerre non terminée ? Puis un troisième ? C’est malheureusement possible. Une grande incertitude stratégique continue d’envelopper ce sanglant conflit alors qu’il entre dans sa seconde année. 

Son pari fou de conquérir l’Ukraine en deux jours (ou deux semaines) ayant lamentablement échoué, Vladimir Poutine poursuit une stratégie de guerre d’usure. 

Il parie sur l’épuisement de l’ennemi : l’Ukraine, l’armée ukrainienne, mais aussi l’Occident, dont l’unité et la détermination, divines surprises des douze derniers mois, ne sont jamais garanties. 

Les possibilités sont multiples. Épuisement par manque de matériel ou d’hommes. Épuisement des alliés dans leur fourniture d’aide militaire. Épuisement des capacités industrielles à soutenir cette fourniture continue (on a puisé dans les stocks, maintenant il faut produire). Épuisement de la volonté à soutenir ad infinitum la défense de l’Ukraine et à en payer le prix économique. 

Le spectre de l’épuisement ou celui — toujours possible — de l’effondrement subit de l’un ou l’autre… ce spectre guette également la partie russe, ce qui entretient les espoirs ukrainiens de reconquête complète. 

La précipitation russe à relancer l’attaque dans le Donbass, visible depuis le début février, trahit une volonté « tactique » de prendre de vitesse les nouvelles livraisons annoncées en janvier : livraisons de chars, de blindés, de munitions, de défense antiaérienne. Attendues pour avril ou mai, elles comportent aussi des délais liés à l’incompressible temps de formation nécessaire aux utilisateurs de ces nouveaux équipements, notamment les fameux Leopard-2. 

Mais cette précipitation russe se traduit, en ce début 2023, par des attaques massives de « troupes » mal préparées, mal équipées, lancées dans cette campagne Donbass 2. 

Des malheureux poussés au front, véritable chair à canon : une masse humaine destinée à engloutir l’ennemi par la force du nombre — telle est la « stratégie » russe. Même si, pour ce faire, il faut envoyer à la mort certaine, au hachoir et dans des souffrances atroces, des dizaines de milliers d’êtres humains de son propre camp (sans compter les « sous-hommes » d’en face). 

Tel est le mépris de l’idéologie russe, de la direction russe, envers la vie humaine et l’individu. On le retrouve tous les soirs à la télévision moscovite. 

On retrouve aussi l’influence du héros de Poutine, Joseph Staline — Poutine, au fait, qui déteste Lénine… mais a toujours admiré le « petit père des peuples ». Staline, auteur de la fameuse citation : « La mort d’un homme est une tragédie. La mort d’un million d’hommes est une statistique. » 

La victoire soviétique contre l’Allemagne en 1945 avait reposé — à une échelle certes supérieure — sur des conceptions similaires : jeter sur le terrain, par vagues successives, des quantités illimitées de viande rouge humaine, de soldats-esclaves, surveillés par le NKVD (services secrets soviétiques) qui abattait dans le dos tout récalcitrant. L’envers atroce de « l’héroïsme » soviétique qui a vaincu la Wehrmacht (1). 

Après l’offensive russe actuelle, le plan de match, ou ce qu’on en sait, évoque une contre-attaque, dans quelques mois, des forces ukrainiennes. 

Fin du printemps ? Été ? Début de l’automne ? Sur le front Sud ou sur le front Est ? Difficile à dire. Mais les défis sont énormes et, si la situation actuelle ressemble à une « course contre la montre », les dangers d’une précipitation excessive sont également présents. Pour la Russie… mais également pour l’Ukraine. 

L’Ukraine se bat contre l’hésitation, l’épuisement, voire l’exaspération des appuis occidentaux, qui paraissent toujours en décalage sur les besoins du moment. 

Même si on leur répète « on vous soutiendra aussi longtemps qu’il le faudra », les dirigeants ukrainiens savent aussi que les Occidentaux espèrent des résultats, et vite, car ils ne veulent pas une guerre de dix ans ou un conflit gelé. Entre le « temps politique » en Occident et le « temps de la guerre » en Ukraine, il y a une contradiction dangereuse, potentiellement tragique. 

(1) Un coup de chapeau, en passant, au livre remarquable du professeur Tristan Landry, de l’Université de Sherbrooke, La valeur de la vie humaine en Russie, qui vient d’être réédité (Presses de l’Université Laval, collection « À propos », 2023). 


Le Devoir, 20 février 2023

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/782388/incertitude-strategique


François Brousseau est chroniqueur-analyste de Radio-Canada pour les affaires internationales et signe une chronique hebdomadaire pour le quotidien Le Devoir. Il est le fils du comédien Jean Brousseau.


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