vendredi 30 décembre 2022

Jour 310 - Les armes ont assez parlé

Trois acteurs du conflit sur une même branche


Que Volodymyr Zelensky ait réservé aux Américains sa première visite à l’étranger depuis le début de la guerre, il y a dix mois, aura été significatif à plus d’un titre. En se rendant à Washington, le 21 décembre dernier, et pour avoir été reçu à bras ouverts par Joe Biden et déroulé le drapeau ukrainien au Congrès, Zelensky a symboliquement scellé l’alliance entre Kiev et les États-Unis, sans l’appui militaire massif desquels, on le sait, les Ukrainiens n’auraient pas pu résister longtemps à l’agression russe. Par extension, il s’est en même temps trouvé à surligner l’assujettissement de l’Ukraine à des dynamiques internationales trop étroitement tributaires, encore et toujours, des rivalités entre puissances dominantes. 

De l’histoire longue (les responsabilités américaines dans ce qu’est devenue la Russie après la dislocation de l’URSS) à l’histoire courte (l’« opération spéciale » lancée par Poutine le 24 février dernier), l’Ukraine est aujourd’hui engagée dans une guerre d’indépendance, déjà gagnée, à laquelle l’Occident solidaire apporte, bien entendu, un appui essentiel, nécessaire, exemplaire. Développement démocratique, défense des libertés, droit des Ukrainiens à l’autodétermination sont autant de principes fondamentaux animant la résistance contre l’innommable violence déployée par le régime russe. Il n’empêche que ce conflit a vite tourné à un combat mené par procuration par les États-Unis contre la Russie et, au-delà, contre la Chine alliée. Une sorte de guerre froide bis — où le reste du monde, y compris l’Europe, tend à être relégué à un statut d’observateur. 

Or, si le XXe siècle a quelque chose à nous apprendre, affirme entre autres un papier paru dans Foreign Affairs et intitulé « Great-Power Competition Is Bad for Democracy », c’est que la guerre froide et ses conflits violents sont loin d’avoir été utiles au développement démocratique. Ni politiquement, ni socialement, ni économiquement. Aux États-Unis, l’affrontement Est-Ouest a eu des effets délétères sur la liberté d’expression et sur l’égalité économique et raciale. La création d’emplois et le filet social ont été sacrifiés sur l’autel des dépenses militaires, notamment pour financer la guerre du Vietnam. À se draper dans le leitmotiv moral et manichéen consistant à opposer « démocraties contre autocraties », mais là seulement où les intérêts des États-Unis ne sont pas menacés, Joe Biden tend à faire en sorte que l’histoire se répète.  

À cette compétition exacerbée entre grandes puissances vient se superposer un dysfonctionnement croissant des instances internationales et multilatérales, avec des pays, comme la Turquie du président Erdogan, qui ne s’embarrassent pas des principes et pour lesquels l’heure est « à un opportunisme débridé », dixit l’éditorialiste du Monde Gilles Paris. Des instances que Biden promettait pourtant de valoriser et qui semblent aujourd’hui frappées d’anomie. Si donc Poutine, à son corps défendant, a resserré les rangs derrière l’alliance militaire qu’est l’OTAN, il reste que l’invasion de l’Ukraine s’inscrit fermement pour lui dans un projet visant un « changement tectonique de tout l’ordre mondial ». Une entreprise de refonte géopolitique que partage Pékin pour l’essentiel. 

« On fait la guerre quand on veut, on la termine quand on peut » (Le Prince de Machiavel). En tarissant la principale source de devises dont dispose Vladimir Poutine pour financer son aventurisme, l’embargo sur le pétrole russe finira peut-être par l’inciter à négocier un accord de paix. Mais quand ? 

Des balbutiements de négociations de paix se font entendre, mais ils sont à peine audibles, tant les camps restent sur leurs positions maximalistes. Or, si l’heure n’est pas encore à la diplomatie, comme tout le monde le répète, ce n’est pas une raison pour ne pas chercher par tous les moyens à sortir du « scénario de l’anéantissement », comme l’a fait valoir le président Emmanuel Macron. Le peuple ukrainien, tout résilient et combatif et solidaire qu’il soit, a bien assez souffert. Il n’y aura pas de paix, quelle qu’elle soit, sans amertume. 

Dans l’urgence de l’héroïque défense des libertés en Ukraine, on en oublie que ce conflit donne lieu, à la clé, à la militarisation massive d’un pays qui était déjà l’un des plus pauvres d’Europe. Et que cette guerre et cette militarisation — par les États-Unis, par l’Europe, par l’Iran qui alimente l’armée russe en drones, par la Corée du Nord qui arme les mercenaires du groupe Wagner — laisseront longtemps des blessures sociales et humaines profondes. Au moins cinq millions de déplacés intérieurs, et encore plus d’Ukrainiens en exil, un hiver sans eau et sans électricité, les pénuries alimentaires : plus on laisse parler les armes, plus le pays aura forcément du mal à se relever. 

La Russie n’a manifesté aucune volonté « significative » de mettre fin à la guerre, estiment les États-Unis. On n’en doute point. Mais quelle volonté d’en finir ont exprimée les États-Unis ? 

Pour relire l’article, 

Guy Taillefer, éditorialiste 
Le Devoir, 30 décembre 2022

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