jeudi 29 décembre 2022

Jour 309 - Quelle paix pour l’Ukraine martyrisée ?



Au dixième mois d’une guerre russo-ukrainienne lente, acharnée, inhumaine et dangereuse, en écoutant les voeux de Noël de Volodymyr Zelensky, leur président-résistant, les Ukrainiens peuvent toujours vibrer d’une fierté légitime et se dire, comme lui : même dans l’obscurité totale, nous nous trouverons les uns les autres pour nous serrer fort dans nos bras. Et s’il n’y a pas de chaleur, nous nous serrerons fort les uns contre les autres pour nous réchauffer. Nous n’attendrons pas de miracle. Nous le créerons nous-mêmes ! 

Comme Zelensky, nous n’attendrons pas de miracle de la part de l’agresseur russe. Nous souhaiterons toutefois sincèrement la conversion des coeurs de la Russie millénaire, éternelle, et nous nous souviendrons avec émotion des larmes versées par le pape François, le 8 décembre dernier, durant la prière à l’Immaculée Conception, à la pensée des petits enfants si durement touchés par les effets dévastateurs du conflit ukrainien qui perdure, enflammant le coeur de l’Europe géographique. 

Comment donc arrêter un tel déchaînement de passions ethnopolitiques, une telle folie destructrice, et promouvoir, au contraire, une réconciliation et une paix durable entre la Russie historique, ses compagnons de route autoritaires, et l’Ukraine indépendante, martyrisée, et ses alliés démocratiques ? 

En tant qu’historien et politologue, nous savons par expérience que sur le plan diplomatique, la paix reste en effet possible, malgré le temps passé, les morts, les blessés, les violences de toute nature, les crimes de guerre et les atrocités génocidaires ; il s’agit de la mettre en oeuvre de manière décidée, forte, judicieuse et pertinente. Ici, c’est le règlement des guerres intervenues entre les États successeurs de l’ex-Yougoslavie et, particulièrement, les accords de Dayton (Ohio, États-Unis) de 1995 qui nous serviront de guide vers ce but stratégique. 

L’accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine (également connu sous le nom d’accord de Dayton ou d’accords de Dayton) fut l’accord de paix conclu à la base aérienne de Wright-Patterson, près de Dayton, le 21 novembre 1995, et officiellement signé à Paris le 14 décembre 1995. Ces accords mirent fin à la guerre de Bosnie (1992-1995) ; celle-ci s’inscrivit dans le contexte des guerres entre États successeurs de l’ex-Yougoslavie (Serbes, Croates, Bosniaques). Les parties belligérantes arrivèrent ainsi à une paix négociée et à la création d’un seul État souverain, la Bosnie-Herzégovine, composé de deux parties, la Republika Srpska, largement peuplée de Serbes, et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, principalement peuplée de Croates et de Bosniaques. 

Même si les accords de Dayton ont permis la création d’une frontière intérieure en Bosnie-Herzégovine en légitimant l’existence de la République serbe, ils n’ont cependant pas admis que les frontières extérieures de la Bosnie-Herzégovine soient modifiées. 

En d’autres termes, la règle fondamentale du droit international qui stipule que la communauté internationale (l’ONU et d’autres organisations internationales) n’accepte pas l’acquisition et l’annexion par la force de territoires d’un État à un autre a été pleinement respectée par les accords de Dayton. Cela reste la valeur principale de ce traité de paix. 

En réaffirmant la centralité de la norme de droit international uti possidetis juris (expression latine issue du droit romain qui signifie « selon que vous possédez »), qui a été retenue pour la délimitation des frontières extérieures de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie, les signataires des accords de Dayton ont confirmé que cette norme est et reste le pilier fondamental sur lequel reposent la paix et l’ordre international. 

Remettre en question la norme uti possidetis juris, ce que les Serbes ont voulu faire en cherchant à modifier les frontières de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie par la force, signifiait introduire l’anarchie dans le système international et risquait de provoquer une régression semblable à celle qui s’est produite dans les années 1930, quand les puissances fascistes en Europe et le Japon en Asie se sont taillé de nouveaux empires au détriment des États existants. 

À Dayton, Richard Holbrooke et la diplomatie américaine se sont limités à entériner un cessez-le-feu que les belligérants avaient conclu auparavant et qui mettait un terme aux combats. 

Nous l’avons dit et nous le répéterons inlassablement : c’est uniquement le changement de rapport de force en sa défaveur sur le champ de bataille qui obligera la Russie à négocier de bonne foi afin que la paix revienne en Ukraine. 

Car il ne faut pas se leurrer : selon l’Institute for the Study of War, le président russe, Vladimir Poutine, n’aurait pas proposé de négocier avec l’Ukraine le 25 décembre, contrairement à certaines informations. Lors d’une interview télévisée, M. Poutine n’a pas explicitement déclaré que la Russie était prête à négocier directement avec l’Ukraine, mais il a plutôt maintenu sa version du conflit selon laquelle l’Ukraine avait violé les efforts diplomatiques déployés par la Russie avant l’invasion. Les discussions de Poutine sur les négociations se sont concentrées sur des discussions putatives avec l’Occident plutôt qu’avec l’Ukraine. Le président russe a également déclaré penser que la Russie « opère dans une direction correcte », ce qui indique qu’il n’a pas fixé de conditions sérieuses pour les négociations et qu’il souhaite toujours poursuivre ses objectifs maximalistes. 

Dans l’éventualité (pour l’instant éloignée) d’un futur traité de paix entre la Russie et l’Ukraine, contrairement à ce que nous a dit le président de la République française, Emmanuel Macron, ce n’est donc pas d’abord la Russie, État agresseur expansionniste, qui devrait recevoir les fameuses garanties de sécurité ; c’est bien davantage le pays agressé, l’Ukraine, qui aura besoin des garanties de l’Occident afin de ne pas subir une répétition aggravée de l’agression russe dans un avenir rapproché. 

Renéo Lukic et Jean-Thomas Nicole 
Le premier est auteur et professeur titulaire au Département d’histoire de l’Université Laval, le second est auteur et conseiller en politiques au Secrétariat national de recherche et de sauvetage de Sécurité publique Canada. Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs uniquement et ne reflètent pas les politiques ou les positions officielles de Sécurité publique Canada ou du gouvernement canadien. 

Pour relire l’article, 
Le Devoir 29 décembre 2022

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Ecrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL
3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Cliquer sur Publier enfin.

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et un gros MERCI !!!!