dimanche 23 mars 2014

Le clin d'oeil du chat (20)



«Vous pouvez arracher l’homme du pays,
mais vous ne pouvez pas arracher le pays du cœur de l’homme. »

John Dos Passos

Le mal du pays

Ce n’est pas pour me plaindre, mais j’entends la même rengaine depuis que je suis né. Ça fait seize ans que mes parents me rebattent les oreilles avec ce pays que nous n’avons pas, qu’ils me le chantent sur tous les tons, avec la mélancolie qui sied aux airs tristes, une mélodie insistante comme un ver d’oreille à laquelle j’ai fini par m’habituer, une mélopée de cruelle désespérance.

En tant que chat bien logé, caressé, vacciné et nourri aux croquettes de Prescription Diet, je ne vois pas bien quels avantages pourraient me procurer un pays à nous. Pourtant, je comprends mes parents de le désirer, même si je dois me contenter en ce moment de caresses plus distraites de leur part. Je les comprends parce qu’ils y croient depuis plus de quarante ans, qu’ils ont vu s’éveiller leurs semblables au projet de prendre possession du territoire, qu’ils se sont eux-mêmes ouvert les yeux au cours de leurs voyages, qu’ils ont chéri ensemble l’idée de s’affranchir d’un Canada qui ne leur ressemble ni par la langue ni par la culture, cet espace trop grand, trop mou et trop fade pour qu’ils s’y sentent chez eux. Ils ont suivi avec admiration des amis artistes et artisans, formés à toutes les disciplines, déployer leurs talents dans une multitude de domaines. Le rêve de se donner un pays, ils l’ont nourri de leur travail et de leurs espoirs, ils se sont servi de leur langue pour lui donner un sens, pour le recréer avec  d’autres mots et d’autres images, ils en ont fait un projet, une entreprise réalisable qu’ils ont portée à bout de bras.

Or, après toutes ces années, ils découvrent avec incrédulité que leurs frères et leurs sœurs ne partagent pas leur rêve, que leurs voisins et leurs enfants de coeur s’en détournent, eux qui craignent aujourd’hui de perdre tout ce que la fierté a fait naître et qu’elle a construit pour eux. Comme si ce n’était pas assez d’être méprisés par une majorité de Canadiens, mes parents se sentent trahis par ceux-là mêmes qui ont profité de leur foi et de leur labeur. C’est déjà humiliant de vivre un rejet, de subir l’arrogance et la condescendance d’un peuple qui continue à les traiter comme des ennemis, mais ce n’est rien à côté de ce que leur fait vivre leur propre nation. 

De quoi les Québécois ont-ils peur, se demandent mes parents, pour qu’ils se montrent si réticents à la seule idée de se donner un pays ? Ont-ils peur de rompre leurs chaînes de magasins américains, de perdre leurs kilos de graisse emmagasinés à l’aide de big mac et de coca cola ? Le confort qu’ils ont gagné jour après jour les aurait-il détachés de cette louable ambition ?

N’empêche… Mes parents suivent la campagne de peur qui s’installe jour après jour avec l’espoir fou qu’elle ait l’effet contraire sur leur peuple et que  leur rêve d’avoir un pays se concrétise enfin.

Je ne vais pas les détromper. De ma situation privilégiée d’observateur bien nourri, j’entretiens moi aussi l’espoir de profiter de caresses moins distraites. Et de continuer à vous écrire en français.



4 commentaires:

  1. Oui ici aussi les parents adoptifs en parlent souvent, trop même. Qui sera Le parti au pouvoir? Majoritaire, minoritaire?
    Quelle sera la personne qui sera élue Le ou La Premier(ère) Ministre? C'est pas mêlant je crois que je suis en train de développer une expertise en politique.

    Mais les Québécois sont mouton et ne suivent pas nécessairement le bon bélier? Alors qu'arrivera-t-il le 7 avril? Nous verrons bien mais d'ici là j'essaie de dormir sur mes deux oreilles pour en entendre moins.

    Bonne journée mon ami
    Victor

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    1. Salut Victor,
      Eh bien moi, je ne trouve pas qu'ils en parlent trop. Ce sont mes parents, ils ont fait mon éducation politique et je suis cette campagne de peur avec intérêt. Je ne l'ai pas écrit, mais je peux bien te le dire à toi, je milite pour le droit de vote des chats. Comme de raison, c'est une question de territoire, et je tiens à conserver le mien, mon autonomie et ma langue. Peut-être que les chiens n'ont pas ce problème...!

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  2. salut ,Messidor,oui ici le ti-vieux comme il aime s'appeler suis ses nouvelles,mais il a pas lair de changer d'idée,
    comme il dis,pourtant pas juste le Québec qui aimerais bien être seul, il y a bien deux autre province aussi qui voudrais bien se débarrassé du père tout puissant qui prend et redonne pas beaucoup,et oui mémoire faculté qui oublie, et dire que sur plaque de sont auto sais bien écris,je me souvient ,bien bonne, tes maîtres ont bien raison,bon je quitte les voila qu'il me regarde avec une drolle d'air, il sont pas habitué a me voir au clavier, bonne journée a vous .chalu
    sac a puces

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    1. Chalut Sac à puces,
      Tu m'as fait sourire, tes parents n'ont pas l'habitude de te voir au clavier, et moi non plus, ça me
      fait grand plaisir que tu t'exprimes ici. Tu as bien raison, les Québécois ont la mémoire courte, ce sont des girouettes
      qui se laissent facilement porter par des vents contraires.
      J'espère que tu te joindras à moi et que tu militeras pour le droit de vote, ça pourrait bien faire changer les
      résultats du scrutin...

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