Sentir Noël
Et on va y
arriver en même temps que tout le monde
Chronique de Josée Blanchette publiée dans
Le Devoir le 20/12/13
« La vie se
partage entre ceux qui aiment Noël et ceux qui honnissent son nom. Je
sympathise avec les uns et les autres. Les grincheux le fuient car, d’évidence,
Noël exige trop. Il faut réussir à caser la cascade de bons sentiments et de
lourdes étrennes entre deux bordées de neige ; des épreuves dignes des JO
de l’organisation.
Je comprends aussi
ceux qui l’aiment parce que Noël est une épiphanie dans notre train-train trop
rapide, une trêve bienvenue où l’on fait abstraction de tout le reste pour
mettre de l’avant la joie, l’amour, la fraternité et le plaisir de partager des
odeurs familières. Noël est un idéal de perfection qu’on tente d’atteindre une
fois par année en pardonnant le reste, en imposant des parenthèses au temps et
aux rancunes. Si les reliquats de la religion servent encore à ça, merci au
p’tit Jésus.
Je pourrais vous
déballer tout ce que je déteste de Noël, surtout cette année : j’ai
regardé les cannes en sucre avec une moue découragée, submergée par la fatigue
et la bronchite.
Le sapin baumier
n’est toujours pas décoré, ça attendra à demain. Mais il y a deux choses sur
lesquelles je ne transigerai pas : l’odeur (celle de l’arbre naturel
aussi) et la musique. Elles sont de mèche pour faire ressurgir les souvenirs de
jours meilleurs.
Il y a ceux qui
ont le Noël visuel ou matériel, moi, je l’ai olfactif et auditif. Je ne connais
pas de moment plus joyeux que celui de rouler ma pâte à tourtière en écoutant
Auld Lang Syne chanté par Andrew Bird ou Blue Christmas par les Heartless
Bastards. « And when those blue snowflakes start falling. That’s when
those blue memories start calling. » J’ai beau être végétarienne la
plupart du temps, quand vient Noël, l’odeur des pois chiches ne peut rivaliser
avec celle du porc et du chevreuil. Et celle du chapon grillé remonte à la
genèse, avant l’oeuf ou la poule, inimitable. J’ai essayé avec le tofu, la peau
n’est jamais aussi croustillante.
Chaque mois de
décembre, je ressors la recette de tourtière de ma grand-mère Deleine et je
retire mes alliances toutes enfarinées avant de malaxer la pâte, comme le
faisait ma grand-mère Alvine. Je l’entends m’exhorter : « Faut
presque pas y toucher, pis ajoute pas trop d’eau ! »
Jésus-Marie-Joseph (comme elle disait), ça sent Noël et le saindoux à pleines
mains.
Des nouvelles
d’eux
Il y a Louise qui
vient de m’écrire qu’elle voudrait me faire goûter à sa confiture de
citrouille, abricots, noix de Grenoble, vanille et liqueur de whisky à
l’érable. Je la hume à distance et j’envie ses voisins. Il y a Suzanne qui
m’envoie une photo d’elle et de sa gang de joueurs de bowling dans leur
résidence de vieux, autour d’un gâteau aux amandes et orange qu’elle a cuisiné
sur fond de sapin artificiel illuminé.
J’ai quasiment
hâte d’y être. Il y a Julie qui est rentrée chez elle pour faire face à 72
bonshommes en pain d’épice (tout nus !) découpés par ses deux hommes
(enfarinés). Il y a Francine qui prépare ses pizzelles à l’anis et moi qui
attends le 23 pour enfourner les biscottis au chocolat et pistaches de di
Stasio.
L’odeur se
répandra dans la maisonnée comme celle du feu de bois et tout le monde sera
plus heureux sans avoir besoin de s’expliquer pourquoi. Le bonheur s’accommode
de cette économie de mots. On le sent, c’est bien suffisant. Dans nos multiples
listes de choses à faire, on oublie toujours d’ajouter une ligne pour le
bonheur, tout en l’espérant à chaque détour.
Une fournée à la
fois, nous nous réfugierons dans le giron rassurant des odeurs cent fois
reniflées, les canneberges à l’orange et à la menthe, le gratin dauphinois à la
courge, le potage aux épinards et cari, le préféré de mon B. Les pets-de-soeur
au caramel à la fleur de sel me rappelleront ceux qu’Alvine faisait avec
de la simple cassonade.
Chaque année, nous
nous demandons comment simplifier Noël, de quelle façon en raviver l’essence
tout en jetant le superflu. Chaque année, nous n’y arrivons pas vraiment mais
nous conservons ces odeurs familières qui nous envahissent avec ou sans notre
consentement, ces arômes ensorceleurs qui disent bien l’amour qu’on assemble,
ensemble.
Je sais que Noël
pourrait se résumer à cela et ce serait déjà d’un luxe inouï. Sapin et oranges
piquées de clous de girofle. Cocooning, qu’ils disent. Moi, je pense
cuisining : biscuits, tourtières, gaufres, chaï (je le prépare avec de la
cardamome, de la coriandre, du poivre et de la cannelle en bâton, trois sachets
de thé Lipton et du gingembre frais).
« Est-ce
qu’il y aura une bûche quétaine avec un père Noël dans son traîneau,
maman ? » Ah oui ! Et la bûche pour nous rappeler nos
arrière-grands-pères bûcherons. Et je roulerai délicatement le gâteau dans un
linge humide en chantant Here Comes Santa Claus avec Doris Day ou Baby It’s
Cold Outside avec John Travolta et Olivia Newton-John. Oui, la cuisinière a
tous les droits.
En une bouffée
Si Noël pouvait se
vendre en eau de toilette ou en vaporisateur, j’en achèterais. Je rêve d’un
mélange digne du maître parfumeur Jean-Baptiste Grenouille dans le roman Le
parfum. On y trouverait probablement de la cannelle, du bout de chandelle, de
la suie de cheminée, de la gomme de sapin, de la canne à sucre, de l’écorce de
clémentine, de l’excitation, de la barbe à papa, du lait suri au coin du feu,
de la miette de biscuit, du désir d’y croire encore, des bulles de champagne,
de la neige fraîche, du cantique, du soupir d’enfant qui s’endort, une larme de
vieux dont c’est le dernier Noël et du pyjama neuf.
Malgré les
apparences, Noël n’est pas une marque de commerce. C’est une marque d’affection
qui se transmet par les sens.
Joyeux Noël à vous
tous et Joyeuses Fêtes aux autres.
(…)
JOBLOG
Le seul
cadeau qui compte
À Éva qui a le bras dans le plâtre, à Sam qui a mal au
ventre, à Katia qui a un cancer des ovaires, à Jean-Guy qui ne sait s’il verra
2014, à Armande qui ne peut plus marcher, à Mathieu qui est en dépression, à
Claude qui a tout oublié, à Hugo dont la maman n’a pu assister à son spectacle
de Noël, une pensée toute spéciale en ce Noël chargé. Je vous souhaite à tous
le seul cadeau qui compte : la santé. Quand on l’a perdue, on sait à quel point
elle est précieuse. Quand on la retrouve, on oublie qu’elle peut encore nous
quitter. De toutes les leçons de vie et de solitude, la maladie est la plus
cruelle et la plus efficace. C’est peut-être pourquoi nous sommes si généreux
lorsque vient le temps de partager nos microbes…»
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Je n'aime pas la fête de Noël comme tel, je la trouve trop commerciale comparativement à avant. Et je n'aime pas non plus ces cohues pour courir le cadeau idéal.
RépondreSupprimerCependant, j'aime les odeurs de Noël. La bouffe, les épices, les recettes spéciales du temps des Fêtes, pour moi c'est ça le bonheur. Et surtout le partage qui s'en suit.
C'est vrai que même quand on n'est pas nostalgique, on aime bien les odeurs de Noël autour du sapin ou dans la cuisine, et ce qui nous rappelle de beaux souvenirs d'enfance. Mais pour le reste, je passe mon tour. Et je préfère de beaucoup une cantate de Bach aux choix musicaux de la chroniqueuse.
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