J’ai publié
dans ce blogue le 21 novembre 2013 l'émouvante lettre que Mylène Paquette
a écrite après avoir traversé l’Atlantique à la rame en solitaire. Cette
chronique rend hommage au courage et à la détermination de cette jeune femme
qui a su affronter ses peurs.
La jeune femme et la mer
Chronique de Jean-Jacques Stréliski
publiée le 25 novembre 2013 dans Le Devoir
« Mylène n’est pas
Santiago. Mais elle est de la trempe de ces grands héros d’Hemingway. Elle
n’est pas le vieil homme du légendaire roman, mais pourtant, durant les 129
jours que dura sa traversée de l’océan Atlantique à la rame, elle fit de nous
tous, des Manolin aux yeux d’enfants ébahis.
J’étais bien jeune
quand ce livre, Le vieil homme et la mer, m’envoûta. La ténacité, le courage
dans la lutte incessante de ce vieux pêcheur en quête d’une ultime
dignité ; l’admiration, le respect, le rêve de ce gamin devant l’homme,
son combat et son récit m’impressionnaient tellement que je fis de cet ouvrage,
devenu mythique, l’un des romans fétiches de ma jeunesse.
Puis, au fil des
temps, je l’avais oublié. Sans doute même égaré pour toujours.
Mais dès ses
premiers coups de rames, Mylène m’a vite fait recouvrer la mémoire. Son récit y
était gravé à jamais. J’en eus la preuve évidente dès l’instant où, comme
beaucoup, je réalisai que le défi de Mylène Paquette prenait une perspective
tout à fait similaire à celle du roman.
Cette fille est
inconsciente, ai-je pensé un moment. À la première tempête, au premier
chavirage, elle va changer d’avis… et virer de bord ! J’avais lu quelque
part qu’en plus, elle avait la phobie de l’eau. Et puis, plus elle avançait sur
l’océan, plus je me suis passionné pour cette femme décidée, pour ne pas
dire opiniâtre, dans sa course folle. Une course contre elle-même et
l’adversité. Une course contre toutes nos peurs et nos phobies.
Devant cet
impossible, je me suis animé. Je la suivais sur son blogue, la lisais,
l’écoutais. Le soir venu, grâce à la magie des nouvelles technologies, je
traçais méthodiquement sur la carte Google, la route qu’elle empruntait, à
partir des repères et des positions GPS qu’elle nous envoyait. Comprenant, qu’à
la rame, un peu comme dans la vie, la route n’est jamais bien droite.
Alors, comment
détester l’eau et adorer la mer ? C’est, on l’aura compris, le paradoxe de
Mylène Paquette. Ses rapports avec l’océan, tantôt tumultueux, violents, tantôt
tendres, voire amoureux, faits de calmes et de tempêtes, de tempêtes et de
calmes, donnaient toute la mesure du tempérament de ces deux protagonistes dans
leurs apprivoisements mutuels.
La danse de deux
amants n’eût pas été plus passionnelle. Tout au long de son récit sur son
blogue et aussi dans la magnifique lettre qu’elle écrira à la mer à la veille
de son arrivée, la rameuse émérite lui avouera son amour profond. Témoignant
également de la force et de la fragilité de cet Atlantique en proie aux plus
grandes menaces, des menaces toutes humaines. Environnement, réchauffement,
extinction de la faune et de la flore marine, pollution de toutes sortes,
déchets, hydrocarbures… « Avant, j’avais peur de toi, désormais, j’ai peur
pour toi », conclura-t-elle.
Alors, avec
Mylène, j’ai ramé durant quatre mois. Je suis tombé à l’eau chaque fois qu’elle
chavirait. Avec elle, j’ai réparé l’antenne solaire chaque fois qu’elle se
brisait, j’ai gratté la coque ralentie par les anatifes accumulés durant le
voyage. J’ai souri de ses canards partisans, de ses enfantillages. J’ai été
effrayé par la hauteur des vagues sur lesquelles elle ballottait, sanglée dans
son minuscule habitacle. Je me suis ému devant ses photos de mer calmée,
de ses couchers de soleil, de ses nuits étoilées. Avec elle, jusqu’à la ligne
d’arrivée, j’ai espéré ce jour, soulagé et heureux d’avoir atteint, grâce à
elle, l’inaccessible étoile. Avec elle, en deux mots, j’ai rêvé.
À l’heure où
l’instant triomphe sur le temps, à l’heure où se célèbrent tous les records de
vitesse, sur l’eau, dans l’air, sur terre, j’ai aimé m’attarder sur ceux qui
vont lentement. Celles et ceux qui atteignent leur but par de bien petits pas,
au seul moyen de leur force physique et mentale. Ils prennent et nous donnent
la vraie mesure des choses, de leur immensité, de leur vérité. Ils redonnent à
l’espace sa véritable dimension.
Chaque marin,
dit-on, doit vaincre sa tempête. Santiago, Manolin, Mylène, tant d’autres et
aussi vous et moi. L’exploit de Mylène Paquette doit désormais faire image.
Mais, hélas, une
femme seule qui rame sur l’océan occupe dans les médias, à peu près la même
place que celle qu’elle occupa sur la mer tout au long de sa traversée. Un
maire décadent et des débats haineux à propos d’une charte malhabile ne
laissant guère d’espace pour « le reste ».
C’est aussi pour
cela que je voulais rendre hommage à cette géante de la mer, en lui consacrant
ma bien modeste chronique. Une toute petite longueur de rame dans l’océan
impétueux des médias. »
Jean-Jacques
Stréliski est professeur associé à HEC Montréal, spécialiste en stratégie de
l’image.
Quelque chose d'une immensité que cet exploit pour une femme seule en mer à la rame....
RépondreSupprimerUn exploit sans pareil pour cette jeune femme. Je lui lève mon chapeau.
RépondreSupprimerEt un homme de coeur qui a su lui rendre hommage...
RépondreSupprimerDeux fois bravo !