« C’est merveilleux la vieillesse… dommage que ça finisse
si mal.»
François Mauriac
Un beau texte, juste et touchant, qui a bien failli m'échapper et que je vous invite à lire.
Mon
printemps (mis)érable
Chronique de Lise Payette publiée dans Le
Devoir le 3 mai 2013
« Le 3 octobre 2012, vous le savez sans doute déjà, je suis
tombée bêtement sur un trottoir de la rue Sherbrooke Est, en sortant d’une
visite sans histoire chez ma docteure de famille. Je me suis remise debout
pensant m’être fait une entorse à la cheville droite. Hélas, c’était plutôt une
triple fracture. À l’hôpital où j’ai fini par aboutir, on m’a fait un plâtre en
me recommandant fortement de ne pas marcher dessus, car il n’était pas prévu
pour cet usage. Résultat : pratiquement 6 semaines au lit à attendre le moment
de retirer le plâtre, dans une maison dite de convalescence où il n’y avait
aucun soin prévu pour un cas comme le mien. Pendant toutes ces semaines, la
vieille dame que je suis perd des forces et j’ai vite l’impression d’entrer
dans un tunnel qui va se rapetissant chaque jour. Puis, à force de volonté, j’arrive
au jour de libération du plâtre et je rentre chez moi, pour constater que je ne
peux pas marcher, que je n’ai plus la force nécessaire pour me tenir debout, et
c’est le début de la descente aux enfers.
Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça ? Pour vous
expliquer mon absence. Mais aussi pour plaider la cause de vos aînés dont j’ai
partagé la vie quotidienne au cours d’un peu plus des deux derniers mois qui
ont mené à mon retour à la maison d’abord et au Devoir aujourd’hui.
J’ai été soignée à l’Institut universitaire de gériatrie
de Montréal parmi les autres malades, dont un trop grand nombre sont atteints
de la maladie d’Alzheimer et dont les yeux vides vous arrachent les larmes
chaque fois que vous essayez de les rejoindre au milieu de leurs souvenirs qui
sont éteints.
J’ai vu travailler des membres du personnel capables de
tendresse et de patience, alors que d’autres ont choisi de ne plus voir la
souffrance en face et continuent de faire comme si l’être humain qui leur est
confié était déjà mort. J’ai surtout vu la différence entre ceux qui ont des
visiteurs qui viennent les dorloter et ceux qui n’ont plus aucun contact avec
leur famille ou leurs amis.
J’ai travaillé très fort pour retrouver de la force
physique avec les ergothérapeutes et les physiothérapeutes. En quelques
semaines j’ai recommencé à marcher et je faisais la joie de ces femmes si
extraordinaires de patience et de motivation qui vous remettent sur pied avec
le sourire en vous laissant toujours l’espoir de retrouver ce que vous étiez «
avant ». Il est évident que si vous avez toute votre tête, vous avez plus de
chance d’y arriver… J’ai fait bien attention d’occuper ma tête en lisant, en
restant dans la parade, en suivant les événements qui meublent nos journées, et
je sais tout du comportement du gouvernement d’Ottawa ces derniers mois, des révélations
ahurissantes de la commission Charbonneau, du travail colossal du gouvernement
Marois malgré son évidente difficulté à remettre de l’ordre dans les affaires
du Québec, de l’infini cynisme des citoyens face à ceux qui prétendent les
diriger, du mouvement «de la rue» qui n’est pas occupée par les étudiants cette
année, mais par les travailleurs qu’on étouffe pour les faire taire. Les
acteurs changent, mais on joue toujours dans la même pièce…
En août prochain, j’aurai 82 ans. J’ai eu le temps au
cours des 8 derniers mois de faire le tour de ce qu’a été ma vie. Il s’en
trouvera sans doute parmi vous pour dire que j’ai raté une belle porte de
sortie… Il se peut que vous ayez raison. Mais je suis toujours là, et j’ai bien
l’intention de ne pas gaspiller le temps qu’il me reste à vivre.
J’ai l’intention de faire tout en mon pouvoir pour venir
en aide aux personnes qui traversent une vieillesse sans tendresse et sans
espoir. Il ne faut pas seulement de l’argent, il faut de l’amour et infiniment
de respect. Je continuerai de vous en parler comme je vous parlerai de cette
société qui est la nôtre et qui tourne avec le vent sans jamais remettre ses
choix en question.
Je finirai bien par mourir. C’est inévitable. Mais tant
que je saurai écrire, que je saurai penser, vous serez bien obligés de m’endurer.
Mon souhait le plus fort serait que le moment venu, je
puisse mourir sans souffrance, au moment choisi… et quant à faire, dans mon
pays, le Québec. Ce choix ne bougera plus. Il y a longtemps que je ne me sens
plus Canadienne et il m’arrive de penser que je ne l’ai jamais été.
Voilà. Je tiens à vous dire que je suis heureuse d’être vivante et heureuse
de vous retrouver. Et surtout, que je vais bien. Merci à tous ceux et celles
qui m’ont aidée.»
Quelle détermination. J'ai toujours aimé cette personne. Je la trouve vraie, sympathique, emphatique et très proche du peuple.
RépondreSupprimerTout comme elle, je ne me considère pas comme Canadienne mais bien Québécoise, mais ça c'est une question très personnelle et le but n'est pas de choquer les lecteurs de ce blogue.
Tout comme elle, j'ai vu aussi, depuis tout ce temps où je fait du bénévolat, des personnes atteintes de cette terrible maladie qu'est l'Alzheimer. Des regards absents, des comportements quelquefois agressifs. Mais il est vrai que les gens qui ne sont pas stimulés par des visiteurs s'enfoncent plus vite que les autres. Alors, ne vous gênez pas si il y en a dans votre famille. Visitez-les, touchez-les, parlez leur, ils n'ont plus de mémoire mais ils ont encore des sensations tactiles.
Bonne journée