Les amours jetables
Article de
Patrick Lagacé publié dans La Presse le 11 février 2013
« Ils ont été
plusieurs à me faire remarquer qu'en cette ère de consommation effrénée, le
citoyen-consommateur a transposé à sa vie sentimentale le ressort qui le pousse
à butiner d'une boutique à l'autre au Carrefour Laval, le samedi matin.
Martin Thibeault:
«Les amours sont parfois comme les frigos. Les nouveaux modèles sont superbes,
inox tape-à-l'oeil... Mais construits pour durer huit ans. Le vieux
Westinghouse en métal blanc de belle-maman? Fiable et solide. Bon, il était un
peu rond et il n'avait pas de connexion web pour la gestion du bac à légumes.
Mais il a quand même ronronné au sous-sol pendant plus de trois décennies...»
Martin signe:
«Avec Johanne depuis 1982.»
Tamy Emma Pepin,
28 ans: «Ma génération en est une pour qui tout est jetable - que ce soit un
iPhone 4 ou une relation amoureuse. On consomme, on jette et on passe au
suivant.»
Et Tamy se désole
d'un truc: cette boîte à souliers où elle gardait ses lettres d'amour? Elle n'a
rien reçu de neuf depuis la montée des textos et de Facebook. Qui, dans 20 ans,
tombera sur un vieux texto comme on tombe sur une vieille lettre d'amour?
Pascal Laflamme,
38 ans, en couple depuis 2000: «Je suis de la génération du Bic jetable. Mes
enfants vont être de la génération iPad jetable. On dirait qu'aujourd'hui, pour
les jeunes, l'amour rime avec intense passion, et comme ils sont élevés avec
une surexposition à toutes sortes de stimulants, publicité et autres, comment
vont-ils pouvoir être heureux en amour?»
Josée, 50 ans:
«Aaaaah, l'internet! F-a-n-t-a-s-t-i-q-u-e façon de trouver l'amour sans sortir
de chez soi! Vive Réseau Contact! Là où tout le monde est beau, célibataire et
prêt pour le grand amour sans se casser la tête. Allez hop, on magasine avec
notre liste de critères et pas question de déroger de ceux-ci.»
Et, si j'ai bien
compris, Josée ne correspond pas aux critères de la société. «Je fais partie
des statistiques: je vis seule avec mes deux chats.»
Es-tu un peu ronde
et en métal blanc, Josée?
Je te taquine...
Le témoignage le
plus inspiré? Celui d'Anne-Sophie Laframboise.
Un texte lancé
d'un jet, L'amour au temps du choléra 2.0, qui a donné un pain compact: un
premier paragraphe de 306 mots. Un second, la chute, de sept mots. Ces 313 mots
sont poussés, comme une voile, par quelque chose comme un souffle
irrésistible...
Extrait: L'amour à
la vitesse grand V, l'amour le temps d'une virée. Je t'aime, tu m'aimes, mais
nous aimons-nous vraiment? Et puis l'autre d'à côté? Pourrais-je lui aussi
l'aimer? Je t'aime, tu m'aimes, mais est-ce assez? J'ai peur, aujourd'hui,
d'aimer. Parce que l'amour, ça se projette, ça fait des plans à court-moyen
terme et puis ça se revend, comme un projet immobilier. L'amour d'aujourd'hui
se rénove moins bien, difficile de recoller les pots cassés, de réparer ce qui
est brisé. Avec du neuf, on peut toujours s'en tirer...
Anne-Sophie, 27 ans,
a un chum. Avant de le rencontrer, elle avait sa liste de critères. «Je me
disais: j'ai une maîtrise, j'ai voyagé, je suis cultivée. Pas vrai que je vais
sortir avec un gars de la construction...» Devinez quoi: eh oui, son chum est
menuisier-charpentier!
Bref, si
Anne-Sophie s'était magasiné un chum sur Réseau Contact avec des critères
excluant tout gars de la construction, elle ne l'aurait jamais rencontré...
Ce qui ne veut pas
dire qu'elle soit à l'abri des tentations du magasinage. Et par «magasinage» -
c'est un peu compliqué - je ne veux pas dire qu'elle se magasine un autre chum
que son beau menuisier-charpentier. Je parle de la tentation, plus subtile, de
se magasiner une autre vie, en étant exposé à celles des autres. Ces vies qui
entrent dans le réel des gens par l'entremise de leur fil Facebook, par
exemple.
«Facebook, c'est
le festival du Tu te crées une vie. As-tu remarqué qu'on y est toujours à son
meilleur? Tout est beau, tout est l'fun sur Facebook. Les gens mettent les
meilleures photos d'eux, de leur couple. De la bouffe qu'ils mangent dans le
resto branché du moment. Du plus récent voyage...»
C'est ici, selon
Anne-Sophie, que Facebook est «pervers»: tu peux passer des heures à comparer
ta vie à celle des autres.
Elle, elle est
donc belle...
Lui, tiens, il vit
à Paris, maintenant...
Eux, ils viennent
d'acheter un condo, regarde les photos...
Lui, le gars du
bac que tu trouvais cute, il est devenu avocat...
«Et c'est du vrai
monde! C'est pas comme regarder des magazines pour la vie des vedettes. C'est
la vie du gars d'à côté, de la fille d'à côté...»
Résultat, tu finis
par te comparer tout le temps. Tu compares ton mode de vie. Tu te demandes si
t'as le «bon» mode de vie. Tu te dis, fatalement, que t'as peut-être pas le
«bon» chum pour ce mode de vie rêvée...
L'an dernier, pour
cette série sur l'argent pondue pour La Presse, on m'avait signalé le même
effet pervers du fil Facebook sur les habitudes de consommation. Comme pour
l'argent, Facebook, vitrine sur le monde d'autrui, créateur de besoins de
consommation, semble parfois bousiller l'imaginaire amoureux...
«Tu regardes ton
fil Facebook, poursuit Anne-Sophie, et tu vois que t'as raté le 5 à 7 cool,
hier, au New City Gas, le nouveau bar cool, avec les DJ. T'as raté celui du
Philémon et tu ne seras pas au party du 24h de Tremblant... Mais si tu veux
faire tout ça, avise-toi pas d'avoir un job à temps plein, un chum, d'être aux
études et d'avoir deux chiens!»
Surtout si ton
chum, parce qu'il se lève à 5h30 pour aller au chantier, se couche à 22h...
Mais Anne-Sophie
l'aime, son menuisier-charpentier: «Je me bats chaque jour pour mon couple.»
Elle se bat contre
un monde qui dit que l'amour, c'est comme dans les films romantiques «de m...»,
selon ses mots. Elle se bat contre un monde qui met l'amour en scène comme dans
Sex and the City: glamour, à paillettes et jamais ron-ron-petit-patapon...
«C'est difficile.
Suis-je censée vivre sur un high ou vivre ce que je vis en ce moment? C'tu
normal, un mardi soir, de manger devant la télé en linge mou? Facebook me dit
que non. Facebook, c'est la phobie du plate.»
Plate...
C'est le mot
employé par Pascal Laflamme, cité plus haut, sur le diktat du neuf et excitant,
en amour. Je lis le courriel de Pascal et c'est comme s'il répondait à
Anne-Sophie...
«Dans les faits,
m'écrit-il, on habitue notre cerveau à tellement de stimulation qu'on n'est
plus capable de rien faire. Si je ne me stimule pas à outrance... C'est plate!
Mais comment peux-tu te sentir bien avec des amis virtuels? Avec des gens qui,
au final, ne pensent qu'à eux?» Anne-Sophie: «Penser à deux dans une société
qui pense d'abord à soi-même, c'est dur.»
En amour comme au
Carrefour Laval, dans le fond, le combat est le même. Le plus dur, c'est
d'aimer ce qu'on a déjà. »
Oui, malheureusement les gens veulent toujours autre chose... Je me suis battu pour obtenir ça maintenant je l'ai. Pourquoi vais- je me battre maintenant.. À quoi vais-je aspirer maintenant ? quel sera mon nouveau rêve?
RépondreSupprimerSouris
Salut Souris!
RépondreSupprimerOui, ça semble être la conclusion de ce constat des amours jetables, le plus difficile est d'aimer ce que nous avons déjà !
Bonjour Messidor,
RépondreSupprimerJ'envoie ce message via ton blogue pour voir si tu le recevras.
Je vois le message de Souris mais pas celui de Cuistot.
Je pense qu'avez GMail on est peut-être en mode «privé» cela expliquerai le pourquoi.
On continue d'explorer et on s'en donne des nouvelles.