vendredi 17 février 2023

Jour 359 - Une nouvelle offensive russe incertaine


C’est un survivant russe de la bataille de Vouhledar, dans l’est de l’Ukraine, qui raconte, cité par le quotidien russe 7X7 : lancée le 23 janvier dernier, l’attaque de la petite ville minière du Donbass devait marquer le début d’une nouvelle offensive des troupes de Moscou contre l’Ukraine, à l’approche du 24 février, premier anniversaire de cette guerre d’invasion. Mais le scénario ne se serait pas déroulé comme prévu pour la troisième compagnie de la 155e Brigade de marine de la flotte du Pacifique, une unité d’élite, décimée sur le champ de bataille au rythme de 150 à 300 hommes par jour. 

« Ceux qui ont survécu ont été traités comme des déserteurs », a raconté le soldat qui faisait partie des quelque huit survivants de cette offensive, tout en expliquant le fiasco de l’attaque par la composition des troupes faites à « 80 et 90 % » de jeunes recrues fraîchement mobilisées et mal entraînés. « Il aurait mieux valu que je sois capturé plutôt que de revenir », a-t-il ajouté en parlant de l’attitude violente du commandement de l’armée russe à son endroit, en raison de la tournure des événements. 

Au croisement du front de l’Est dans la région de Donetsk et du front Sud dans la région de Zaporijjia, Vouhledar a été placée au coeur des ambitions militaires de Vladimir Poutine depuis plusieurs semaines, et ce, dans l’espoir d’y éradiquer une résistance ukrainienne qui mine les lignes d’approvisionnement russes et ainsi redonner un deuxième souffle à son invasion. Mais avec les lourdes pertes que l’homme fort du Kremlin semble y encaisser, la ville, dont le nom signifie « cadeau de charbon » en ukrainien, est surtout en train de devenir le symbole de son incapacité à soutenir l’offensive printanière dont il rêve pourtant depuis des mois.
 

« La coûteuse campagne militaire de la Russie en Ukraine a probablement considérablement épuisé les réserves d’équipement et de main-d’oeuvre russes nécessaires pour soutenir une offensive à grande échelle réussie dans l’est de l’Ukraine », estimait mercredi le Institute for the Study of War (ISW), un groupe d’analystes indépendants de la guerre basé à Washington, dans son dernier bulletin. L’organisme parle au passage de « l’incapacité de la Russie à régénérer à court terme les véhicules mécanisés épuisés [ce qui] limite davantage les capacités de guerre et de manoeuvre des troupes russes ». 

Mercredi, dans une entrevue à la BBC, le ministre anglais de la Défense, Ben Wallace, a indiqué que les services britanniques de renseignement n’avaient pas vu les forces russes s’organiser sur le terrain de manière à tenter une percée des lignes de défense ukrainienne dans le cadre « d’une grande offensive » à quelques jours du premier anniversaire de cette guerre. Il a estimé que Moscou aurait fait entrer 97 % de son armée dans le conflit en Ukraine, avec des pertes qui auraient diminué sa capacité de combat de 40 %. 

Dans le contexte actuel de la guerre, ces données sont difficilement vérifiables, mais suivent malgré tout les analyses effectuées dans les dernières semaines par plusieurs autres services de renseignements militaires et groupes indépendants. 

L’Institut international d’études stratégiques (IISS) estime que la Russie a perdu environ 50 % de ses chars d’assaut T-72B et T-72B3M et de nombreux chars T-80, obligeant ses troupes à poursuivre ses attaques sur des équipements plus anciens. En une semaine à peine, pour la conquête de la ville de Vouhledar, Moscou aurait perdu 130 blindés et 36 chars d’assaut, selon l’état-major militaire ukrainien. 

Jeudi, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a indiqué que malgré tout, le Kremlin continuait d’« introduire un grand nombre de troupes » sur le champ de bataille en Ukraine, mais que ces nouveaux soldats, « mal équipés et mal entraînés » devraient continuer à s’exposer à des « pertes importantes ». « Nous nous attendons à ce que cela continue », a-t-il dit lors d’une conférence de presse tenue en Estonie, où il était de passage. 

Mardi, dans une entrevue accordée au quotidien Financial Times, le chef de l’état-major américain, le général Mark Milley, a dit qu’il était « presque impossible pour les Russes d’atteindre leurs objectifs politiques [de soumettre l’Ukraine] par des moyens militaires » et ajouté qu’il était toujours, un an plus tard « peu probable que la Russie envahisse l’Ukraine. Cela n’arrivera tout simplement pas », a-t-il dit. 

L’homme a ajouté que les prochains mois pourraient toutefois être épuisants pour Kiev, placé devant la complexité stratégique désormais d’expulser les Russes de chaque centimètre de son territoire occupé. « Cela ne veut pas dire que cela ne peut pas arriver… Mais c’est extraordinairement difficile. Et cela va nécessiter essentiellement l’effondrement de l’armée russe », a-t-il dit. 

Après une tentative manquée de prise de contrôle de l’Ukraine en février 2022, le Kremlin et ses troupes n’ont pas obtenu de succès militaires significatifs sur le terrain depuis juillet dernier et la prise de la ville industrielle de Severodonetsk. Depuis, la résistance farouche servie par les armées ukrainiennes a réussi à libérer pas moins de 18 000 kilomètres carrés de son territoire. 

Pour l’ISW, « les échecs militaires russes en Ukraine continuent d’empêcher Vladimir Poutine de présenter ses succès militaires au public russe » et rendent également « peu probable » que le président russe « annonce des mesures pour une nouvelle escalade de la guerre en Ukraine, de nouvelles initiatives majeures de mobilisation russe ou tout autre politique importante » dans un discours qu’il doit donner devant l’Assemblée fédérale de Russie le 21 février prochain. 

Un scénario alimenté en partie jeudi par le chef du groupe paramilitaire russe Wagner, Evgueni Prigojine, qui a repoussé de quelques mois la perspective d’une nouvelle victoire russe en Ukraine, particulièrement autour de la ville dévastée de Bakhmout que les Russes cherchent à encercler depuis des mois, mais qui ne pourrait tomber, selon lui, pas avant « mars ou avril », a-t-il dit dans une vidéo diffusée en ligne. « Pour prendre Bakhmout, il faut couper toutes les routes d’approvisionnement » ukrainiennes, a-t-il dit, tout en accusant le commandement des armées russes, auquel il est indirectement lié, de contribuer à cet autre échec des Russes sur le champ de bataille. 

« Je pense qu’on aurait pris Bakhmout s’il n’y avait pas cette monstrueuse bureaucratie militaire et si on ne nous mettait pas des bâtons dans les roues tous les jours », a dit M. Prigojine, confirmant des tensions au sein du camp russe inhérentes aux nombreuses déconvenues militaires des forces du Kremlin sur le terrain. 

Analyse de Fabien Deglise 
avec l’aide de l’Agence France-Presse 
Le Devoir, le 16 février 2023 

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