samedi 8 février 2014

La chronique du samedi




Humeur dubitative, ce matin. Faut-il en vouloir aux riches d’être aussi peu partageurs ? Faut-il empêcher les écureuils de se nourrir aux mangeoires des oiseaux ? Des questions préoccupantes si on veut mettre fin à l’inégalité. Une chronique qui fait réfléchir.

Le grand écart
Un sport de riche
Chronique de Josée Blanchette publiée dans Le Devoir, le 7 février 2014

«Je ne serai jamais riche. Je ne ferai jamais partie du 1 %, ni de la BohèmeW insouciante. Comme beaucoup de pigistes, je vois les T4 rentrer, les factures s’empiler, les pubs de REER me culpabiliser (oui, je contribue, merci), mon salaire stagner, mon pouvoir d’achat diminuer, et je sursaute lorsque la caissière me réclame 16,49 $. J’ai osé lui demander s’il y avait une erreur. « Un pain, deux croissants et deux chocolatines. Non, c’est exact ! » Petit malaise ; vous payez en vous maudissant d’avoir l’air de ce que vous êtes : une pigiste trop gourmande et un peu anxieuse, ou l’inverse.

Vous l’avez sans doute remarqué, le coût des aliments a augmenté de 19 % entre 2007 et 2012. Je peux encore me payer du pain et des viennoiseries chez Première Moisson, la boulangerie de la classe moyenne. Je suis (presque) riche.

Mais voulez-vous connaître la différence entre un vrai riche et moi ? Qu’ils s’appellent Pierre Karl Péladeau, Serge Godin ou Alexandre Taillefer, aucun ne s’étouffe à la caisse quand on leur réclame 16,49 $. Le pain coûte le même prix pour tout le monde.

On sait peu de choses sur les riches car ils peuvent se payer le luxe d’être discrets et recherchent rarement la publicité. Et c’est ce qui rend si intéressante la série documentaire Les grands moyens, du journaliste Bernard Derome, diffusée à Télé-Québec. De vrais milliardaires du Québec, comme ceux que je viens de nommer, ont accepté de se confier, de parler du capitalisme et de ses dérives avec l’ancien chef d’antenne de Radio-Canada.

L’inégalité est au coeur des questions, bien sûr. Comme elle l’était dans les sous-titres au récent Forum économique mondial de Davos. Sujet tabou s’il en est, et le malaise se fait palpable parfois, même si on arbore la tenue relâchée du pull de cachemire à la maison de campagne. Derome demeure amical, mais ne les ménage pas moins. En substance, il leur dit : faites-vous trop d’argent ? Et est-ce que ça vous pose un problème moral ? Pis, chez vous sont bien ?
La sérénité a un prix

Sans être judéo-chrétien, on n’a qu’à regarder autour de soi, tout nous parle du ras-le-bol des gagne-petit et de disparités, que ce soit le mouvement Occupy ou ces jeunes Brésiliens qui envahissent les riches centres commerciaux climatisés de Rio ou São Paulo pour y faire du grabuge, ou encore les films — The Wolf of Wall Street de Scorsese ou Le capital de Costa-Gavras — sur nos écrans. Le 1 % détient 50 % des richesses au niveau mondial. Aux États-Unis, le 1 % captait 9 % des revenus en 1980. En 2008, il était passé à 24 % des revenus.

Quant aux salaires, des dirigeants qui gagnaient 25 fois plus que leurs employés dans les années 1970 en font aujourd’hui 150, voire 500 fois plus. « Si y’a pas de misère, les gens vont accepter qu’il y ait des différences de rémunération. Ce qui est triste, c’est quand les gens n’ont pas d’emploi », pense Serge Godin, p.-d.g. de CGI, milliardaire qui emploie 70 000 personnes dans 40 pays.

Ils vous diront tous que Céline Dion ou un joueur de hockey gagnent aussi beaucoup d’argent, qu’ils créent des emplois. Ils ont raison, mais pas de la même façon.

« Les gens riches ne veulent pas remettre ça en question », me confie Michel Nadeau après avoir visionné Les grands moyens. Directeur général à l’Institut sur la gouvernance et ancien numéro deux à la Caisse de dépôt, Michel Nadeau a aidé plusieurs millionnaires à se bâtir au Québec. Il se dit fasciné par la richesse et maintient que notre province a besoin des riches. « Je pense qu’on peut gagner de l’argent honnêtement. C’est cette paix intérieure qu’ils affichent tous qui me fascine. Ils ont la certitude que ça ne les touche pas, qu’ils auront toujours de l’argent. Mais tu ne peux pas comparer Céline Dion et le président de Cascade. La performance de Céline repose sur ses épaules seules. Si le président de Cascade tombe malade, son entreprise va continuer à engranger les profits. On ne parle pas de la même chose. Comme disait l’économiste John Kenneth Galbraith, “ la beauté du capitalisme, c’est quand tu te réveilles le matin et que tu sais que ton argent a travaillé pour toi toute la nuit ”. » Le jour où Céline sera cotée en Bourse, on pourra mélanger le beurre et l’argent du beurre.

Du pain et des jeux

Tout comme l’économiste Pierre Fortin, interviewé par Bernard Derome, Michel Nadeau conclut que le Québec est relativement épargné sur le plan des inégalités. L’écart entre riches et pauvres ne se serait pas tant accru dans les 35 dernières années après impôts et transferts. La social-démocratie et l’État-providence permettent de limiter les dégâts observés dans le reste du Canada et aux États-Unis. Reste que depuis 30 ans, le salaire moyen au Québec a augmenté de 1 % par an, alors que l’inflation, elle, a été de 3 % annuellement. Ça explique mon saisissement devant les 16,49 $ à la boulangerie, j’imagine.

« La classe moyenne n’a pas détérioré son pouvoir d’achat, pense toutefois Michel Nadeau. Elle a profité de l’économie asiatique et de ses bébelles ; les autos, la technologie n’ont à peu près pas connu d’inflation. Par contre, le 20 % le plus riche a bénéficié de la progression des marchés boursiers (30 % à l’extérieur du Canada l’année dernière) et le 20 % inférieur s’est détérioré. » Lui reste les cartes de crédit, dont les intérêts profitent à qui ?

« Le capitalisme, c’est un beau système si t’es fort, discipliné. Mais les plus faibles se font de plus en plus avoir, constate Michel Nadeau. L’État est de moins en moins présent. »

Et tout le monde s’entend aussi pour dire — même l’ancien premier ministre Paul Martin, dans Les grands moyens — que la classe moyenne s’érode doucement vers le haut et vers le bas. « Ça va appauvrir tout le monde », avertit Martin.

Une chose me semble évidente : la honte de faire de l’argent au Québec est aussi forte que celle de ne pas en avoir. Et pour conserver sa sérénité, il faut se couper du monde dans les deux cas.

Sur ce, je ne regarderai pas la cérémonie officielle des Jeux d’hiver ce soir. Tout ce qui brille n’est pas or. Et 50 milliards pour quelques petites médailles, c’est beaucoup de sparages pour faire oublier le prix du pain au peuple.

http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/399259/le-grand-ecart

2 commentaires:

  1. bonjour Rachel,j'aime bien la fin, oui 53 milliards et quelque millions,pour je ne sais pas encore ,je nais jamais compris de mètre autant d'argent pour 15 jours,et être en dette pour 100 ans, et le pain va continuer a nous coûté plus cher.

    bon samedi

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  2. Bonjour Rejj,

    Comme toi, je ne comprends pas qu'on dépense autant d'argent pour un événement qui ne
    dure que quinze jours...
    Un scandale encensé par ailleurs par tous les médias et pas seulement la télé d'État...!

    RépondreSupprimer

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