Faire silence
J’ai bien cru
que Messidor était malade. J’avais beau lui offrir mes meilleures caresses, le
gratter entre les deux oreilles, lisser le contour de ses yeux, presser
doucement ses moustaches, le chat ne répondait plus. Encore un peu et il porterait
autour du cou l’écriteau «Fermé pour cause de mal à l’âme ».
Pendant
plusieurs jours, il a opposé un silence farouche à mes questions. « Qu’est-ce
qui ne va pas ? Es-tu souffrant ? C’est la déprime ? Est-ce que je peux faire
quelque chose pour t’aider ?» Il
me regardait fixement sans mot dire comme s’il ne comprenait pas le sens de mes
paroles.
Je n’étais pas
sans savoir qu’il avait passé plusieurs heures devant le petit écran de mon
ordinateur. Impatientée, j’ai osé consulter l’historique, afin de vérifier
quelle direction prenaient ses lectures. J’ai fini par trouver un thème
récurrent. En plus des dizaines de sites consacrés aux oiseaux, il avait fait
plusieurs recherches sur la méditation et le désir de se retirer du monde* . De plus, J’ai trouvé une intéressante
entrevue ** avec le philosophe Pierre Zaoui sur la nécessité de faire silence
et d’observer le monde. En voici un extrait :
« Pensez-vous
que, à force de nous exprimer, de parler sans cesse, nous finissons par nous
vider ?
Pierre Zaoui :
Évidemment que l’on se vide complètement à trop parler ou à trop se montrer,
mais le grand danger n’est pas là. Il réside plutôt dans le fait que, à force
de ne rien garder, de parler sans arrêt, nous ne nous appartenons plus du tout.
Si vous vendez tout, il ne vous reste rien. La discrétion nous protège de
cela. Elle nous protège aussi des dérapages verbaux et de toutes les formes de
parole pulsionnelle en exerçant une fonction d’arrêt, de suspension, notamment
dans les coulées logorrhéiques, quand, par exemple, nous nous mettons à
raconter compulsivement notre existence, nos moindres faits et gestes, nos
commentaires sur autrui. Qu’est-ce que c’est que cette parole non
adressée, cette parole crachée à n’importe qui ? C’est très embarrassant. Face
à cette compulsion, la discrétion oppose un « tais-toi » salutaire et
salvateur, une forme de ponctuation de la parole. C’est une virgule, un point,
une respiration dans le langage qui laisse, à celui qui nous fait face, la
place, la possibilité de s’exprimer. Elle rompt le monologue intérieur, ce flot
de mots ininterrompu dont l’autre est exclu.
Face au retrait
parfois nécessaire et vital de la discrétion, il y a les autres, ceux qui
peuvent nous reprocher, particulièrement en amour, de ne pas être assez transparents,
voire de dissimuler nos pensées. »
J’ai trouvé cet
extrait particulièrement révélateur du comportement de Messidor. Et cet autre
aussi qui répond à une question essentielle :
« Si nous nous
taisons, comment peut-il y avoir de la communication ?
Pierre Zaoui :
L’écrivain Franz Kafa dit que l’humilité est la forme la plus haute de
communication entre les hommes. Dans la discrétion aimante, la communication
peut être extrêmement intense : quelqu’un vous écoute, ne dit presque rien
et, par là même, vous permet d’élaborer une pensée, une histoire... C’est
quelque chose de très intuitif et obscur qui prend la forme du silence.
Non pas un silence qui se calfeutre et se protège de l’extérieur ou un
silence vide dans lequel plus rien ne se passe et où le lien se dissout, mais
un silence qui laisse la voie ouverte à tous les bruits du dehors. Un silence
riche, en attente, qui ouvre la parole, fait lien, et dont nous sommes très
redevables à l’autre. »
C’est ainsi que
j’ai compris que le chat de la maison avait besoin de ce « tais-toi salutaire
et salvateur», de cette retraite spirituelle qui sied si bien à la saison et
que, par respect, je désire imiter.
Merci Messidor. J’attendrai ton retour au monde… et le
printemps !
* Faire une
retraite spirituelle chez soi
** La discrétion a
du bon
Merci à Josée
Blanchette dont la dernière chronique dans Le Devoir (10/1/14) m’a permis de découvrir
la passionnante entrevue de Pierre Zaoui.
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