Chronique de
Stéphane Laporte publiée dans La Presse, le 2 mars 2013.
Pas de relâche pour les textos
«On appelle
ça la semaine de relâche. On pourrait aussi appeler ça le festival des textos.
Les relâchés vont s'en échanger plein dans les prochains jours.
Qu'est-ce K tu fais?
Full rien. Toi?
Full rien au
carré.
On va-tu faire
rien au centre d'achat?
J'sais full pas...
Dans un passé pas
si lointain, le téléphone était une invention qui permettait aux gens de se
parler. Aujourd'hui, le téléphone est une invention qui permet aux gens de ne
pas se parler. Ils s'écrivent. Quoique... Je ne sais pas si on peut toujours
appeler ça de l'écriture. C'est souvent plus un code.MDR Lol! Presque du morse.
Pourquoi, en 2013,
préfère-t- on se texter plutôt que de se parler? C'est une question de
contrôle.
L'appel
téléphonique est beaucoup plus dérangeant. Plus criard. Tellement XXe
siècle. Il s'impose. D'abord, il y a la sonnerie qui survient à tout moment. Si
vous voulez savoir sa raison, vous devez interrompre ce que vous êtes en train
de faire et répondre. Ça occupe du coup votre main, votre bouche et votre
pensée.
Le texto
n'interrompt rien, il se glisse silencieusement dans votre quotidien. Vous êtes
au restaurant avec une conquête, un texto s'affiche sur votre cellulaire, vous
n'avez qu'à baisser les yeux pour en prendre connaissance.
La personne en
face de vous ne s'en rendra même pas compte. Vous pouvez même mener deux
conversations en même temps. Une dans le réel, l'autre dans le virtuel. Votre
bouche disant une chose et vos doigts en écrivant une autre.
«Quelle magnifique
soirée», susurrez-vous à l'oreille de votre partenaire. «Je m'emmerde à fond»,
clavardez-vous à votre ami. L'humain du XXIe siècle est multirelationnel. Fini
le temps où même les courailleux ne pouvaient entretenir deux relations au même
moment. Dans l'ancien temps, le courailleux passait d'une flamme à l'autre.
Maintenant, il peut faire l'amour à sa femme tout en textant à sa maîtresse. Ou
vice versa.
Le texto est la
clef de l'univers parallèle. Combien de gens cette semaine vont être en train
de faire du ski tout en textant avec leur ami qui est au cinéma, qui, lui,
texte aussi avec son ami sur une plage de Floride, qui texte avec l'ami au
Second Cup?
On ne veut pas
seulement vivre son moment présent, on veut vivre tous les moments présents de
tout le monde en même temps. Le texto nous relie à tout ce qu'on est en train
de manquer, tout en nous faisant manquer ce qu'on est en train de faire.
Regardez autour de
vous. Les gens vivent la tête penchée. Ils cherchent un moment perdu au bout de
leurs doigts. Autant on veut savoir ce que les autres font, autant on veut que
les autres sachent ce qu'on est en train de faire. Ce n'est plus assez de
partager une activité avec les gens présents. Pour avoir le sentiment que cette
activité est réussie, il faut la partager avec tous les gens absents.
On veut sentir
qu'ils aimeraient être à notre place. Alors là, notre place prend toute sa
valeur. Avant, on avait les deux pieds dans le sable en se foutant du monde entier.
Maintenant, on envoie une photo de soi, les deux pieds dans le sable, pour que
le monde entier ne se foute pas de nous. Pour que le monde entier soit jaloux.
Notre bonheur nous semble plus grand. Si les autres nous envient notre vie,
c'est qu'elle doit être belle. Tous les humains sont devenus des comédiens, ils
ont besoin des applaudissements.
L'ultime avantage
du texto sur l'appel téléphonique, c'est que le contact n'est pas direct. On
répond au texto quand bon nous semble. Au téléphone, notre interlocuteur peut
nous faire dire ce qu'on ne veut pas dire, il peut nous retenir plus longtemps
qu'on ne voudrait. Dans l'échange texto, on n'écrit que ce qu'on veut bien
écrire, au moment où on veut l'écrire. C'est un plaisir solitaire à deux. On
garde toujours le contrôle.
Quoique... Le
texto crée une redoutable dépendance. Pour une bonne et simple raison: le livre
sera toujours meilleur que le film. Le film, c'est ce qu'on vit. Le livre,
c'est ce que les autres nous racontent qu'ils sont en train de vivre.
Qu'est-ce K tu
fais?
Chus au party chez
Sarah. Boring.
Viens au party
chez Laurent, on capote solide!
Vous dites à Sarah
que vous devez rentrer étudier, vous vous précipitez au party de Laurent...
Boring. C'est la magie de l'écriture: connecter immédiatement avec notre
cerveau, qui est le plus doué des réalisateurs. Tout ce qu'on lit devient dans
notre tête une superproduction que la réalité a bien du mal à accoter.
Si votre copain
avait vanté le party chez Laurent au bon vieux téléphone, vous auriez détecté
dans sa voix s'il vous faisait marcher ou non. Quand quelque chose est écrit,
ça a toujours l'air vrai. Car la voix qui lit silencieusement ce qui est écrit,
c'est la nôtre. Et on se croit toujours.
Cette chronique
n'est pas une charge contre le message texte, au contraire. C'est une
merveilleuse façon d'aller vers les autres. Mais comme toutes les inventions
humaines, il faut savoir s'en servir. La roue, c'est pratique. Ce l'est moins
quand c'est celle d'un autobus qui nous passe dessus.
Bonne relâche!
N'oubliez pas de relâcher du pouce, de temps en temps. La vie est belle aussi,
la tête relevée.»
Bonjour Messidor,
RépondreSupprimerTrès réaliste ce texte. Ici, on le vit régulièrement avec l'ado. Mais, on a nos règles.
Pas de textos à table! c'est sacré. Ni au restaurant et quand on jase et bien...on jase.
Nous avons appris à notre fille à communiquer, à s'exprimer et à discuter. C'est le fondamental d'une réussite sociale. Elle ne s'en vexe pas.
Cette semaine au programme pour elle, du ski, du ski et encore du ski. Et elle ne ski pas avec son Iphone.
Toute bonne chose à ses limites.
Bon lundi
Bonjour Puce,
RépondreSupprimerbien d'accord, la communication doit avoir ses règles.
Dont celle de s'occuper d'abord des personnes qui sont
devant nous. C'est une question de respect.
Tu as raison, plusieurs activités peuvent détourner les
jeunes de leur téléphone à tout faire. Utile, bien sûr, mais
plus souvent qu'autrement, gaspilleur de temps...