lundi 4 mars 2013

Intelligent, vous dites ?


Chronique de Stéphane Laporte publiée dans La Presse, le 2 mars 2013.

Pas de relâche pour les textos

«On appelle ça la semaine de relâche. On pourrait aussi appeler ça le festival des textos. Les relâchés vont s'en échanger plein dans les prochains jours.

Qu'est-ce K tu fais?

Full rien. Toi?

Full rien au carré.

On va-tu faire rien au centre d'achat?

J'sais full pas...

Dans un passé pas si lointain, le téléphone était une invention qui permettait aux gens de se parler. Aujourd'hui, le téléphone est une invention qui permet aux gens de ne pas se parler. Ils s'écrivent. Quoique... Je ne sais pas si on peut toujours appeler ça de l'écriture. C'est souvent plus un code.MDR Lol! Presque du morse.

Pourquoi, en 2013, préfère-t- on se texter plutôt que de se parler? C'est une question de contrôle.

L'appel téléphonique est beaucoup plus dérangeant. Plus criard. Tellement XXe siècle. Il s'impose. D'abord, il y a la sonnerie qui survient à tout moment. Si vous voulez savoir sa raison, vous devez interrompre ce que vous êtes en train de faire et répondre. Ça occupe du coup votre main, votre bouche et votre pensée.

Le texto n'interrompt rien, il se glisse silencieusement dans votre quotidien. Vous êtes au restaurant avec une conquête, un texto s'affiche sur votre cellulaire, vous n'avez qu'à baisser les yeux pour en prendre connaissance.

La personne en face de vous ne s'en rendra même pas compte. Vous pouvez même mener deux conversations en même temps. Une dans le réel, l'autre dans le virtuel. Votre bouche disant une chose et vos doigts en écrivant une autre.

«Quelle magnifique soirée», susurrez-vous à l'oreille de votre partenaire. «Je m'emmerde à fond», clavardez-vous à votre ami. L'humain du XXIe siècle est multirelationnel. Fini le temps où même les courailleux ne pouvaient entretenir deux relations au même moment. Dans l'ancien temps, le courailleux passait d'une flamme à l'autre. Maintenant, il peut faire l'amour à sa femme tout en textant à sa maîtresse. Ou vice versa.

Le texto est la clef de l'univers parallèle. Combien de gens cette semaine vont être en train de faire du ski tout en textant avec leur ami qui est au cinéma, qui, lui, texte aussi avec son ami sur une plage de Floride, qui texte avec l'ami au Second Cup?

On ne veut pas seulement vivre son moment présent, on veut vivre tous les moments présents de tout le monde en même temps. Le texto nous relie à tout ce qu'on est en train de manquer, tout en nous faisant manquer ce qu'on est en train de faire.

Regardez autour de vous. Les gens vivent la tête penchée. Ils cherchent un moment perdu au bout de leurs doigts. Autant on veut savoir ce que les autres font, autant on veut que les autres sachent ce qu'on est en train de faire. Ce n'est plus assez de partager une activité avec les gens présents. Pour avoir le sentiment que cette activité est réussie, il faut la partager avec tous les gens absents.

On veut sentir qu'ils aimeraient être à notre place. Alors là, notre place prend toute sa valeur. Avant, on avait les deux pieds dans le sable en se foutant du monde entier. Maintenant, on envoie une photo de soi, les deux pieds dans le sable, pour que le monde entier ne se foute pas de nous. Pour que le monde entier soit jaloux. Notre bonheur nous semble plus grand. Si les autres nous envient notre vie, c'est qu'elle doit être belle. Tous les humains sont devenus des comédiens, ils ont besoin des applaudissements.

L'ultime avantage du texto sur l'appel téléphonique, c'est que le contact n'est pas direct. On répond au texto quand bon nous semble. Au téléphone, notre interlocuteur peut nous faire dire ce qu'on ne veut pas dire, il peut nous retenir plus longtemps qu'on ne voudrait. Dans l'échange texto, on n'écrit que ce qu'on veut bien écrire, au moment où on veut l'écrire. C'est un plaisir solitaire à deux. On garde toujours le contrôle.

Quoique... Le texto crée une redoutable dépendance. Pour une bonne et simple raison: le livre sera toujours meilleur que le film. Le film, c'est ce qu'on vit. Le livre, c'est ce que les autres nous racontent qu'ils sont en train de vivre.

Qu'est-ce K tu fais?

Chus au party chez Sarah. Boring.

Viens au party chez Laurent, on capote solide!

Vous dites à Sarah que vous devez rentrer étudier, vous vous précipitez au party de Laurent... Boring. C'est la magie de l'écriture: connecter immédiatement avec notre cerveau, qui est le plus doué des réalisateurs. Tout ce qu'on lit devient dans notre tête une superproduction que la réalité a bien du mal à accoter.

Si votre copain avait vanté le party chez Laurent au bon vieux téléphone, vous auriez détecté dans sa voix s'il vous faisait marcher ou non. Quand quelque chose est écrit, ça a toujours l'air vrai. Car la voix qui lit silencieusement ce qui est écrit, c'est la nôtre. Et on se croit toujours.

Cette chronique n'est pas une charge contre le message texte, au contraire. C'est une merveilleuse façon d'aller vers les autres. Mais comme toutes les inventions humaines, il faut savoir s'en servir. La roue, c'est pratique. Ce l'est moins quand c'est celle d'un autobus qui nous passe dessus.

Bonne relâche! N'oubliez pas de relâcher du pouce, de temps en temps. La vie est belle aussi, la tête relevée.»

2 commentaires:

  1. Bonjour Messidor,

    Très réaliste ce texte. Ici, on le vit régulièrement avec l'ado. Mais, on a nos règles.

    Pas de textos à table! c'est sacré. Ni au restaurant et quand on jase et bien...on jase.

    Nous avons appris à notre fille à communiquer, à s'exprimer et à discuter. C'est le fondamental d'une réussite sociale. Elle ne s'en vexe pas.

    Cette semaine au programme pour elle, du ski, du ski et encore du ski. Et elle ne ski pas avec son Iphone.

    Toute bonne chose à ses limites.

    Bon lundi

    RépondreSupprimer
  2. Bonjour Puce,
    bien d'accord, la communication doit avoir ses règles.
    Dont celle de s'occuper d'abord des personnes qui sont
    devant nous. C'est une question de respect.

    Tu as raison, plusieurs activités peuvent détourner les
    jeunes de leur téléphone à tout faire. Utile, bien sûr, mais
    plus souvent qu'autrement, gaspilleur de temps...

    RépondreSupprimer

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