Si tu meurs, j’te tue!
La seule façon de vivre, c’est encore de
mourir
Chronique de Josée Blanchette publiée dans Le
Devoir le 6 décembre 2013
« J’ai hâte
que tout ça finisse, des fois », a-t-il laissé tomber machinalement, en
attachant les lacets de ses bottes d’hiver. Je savais exactement de quoi il
parlait, juste au son, sans effet, monocorde. Quand tu connais bien quelqu’un,
tu pourrais presque terminer ses phrases. Un vieux pote choyé par la vie qui
vous parle de la mort posément, en faisant mine de ne pas y toucher. Constat
simple, sans lumières de Noël.
Ce pourrait être
inquiétant si cet homme au mi-temps de la vie était dépressif ou téléphage
assidu. Ce n’est pas le cas, j’ai affaire à un optimiste un peu las de voir la
vie hoqueter, radoter, l’aiguille accrochée dans les sillons profonds du
45-tours (pour les plus jeunes, voir la vidéo).
Il faut dire que
l’actualité récente, lointaine et proche, les pervers narcissiques invités à TLMEP
dimanche dernier — fiente de l’humanité sur laquelle on se penche avec
curiosité, embarras et nausée — et le spectacle poignant de survivantes qui
marchent à côté d’elles-mêmes parce qu’on les a tuées vives, n’ont fait
qu’amplifier cette impression de déjà-vu-all-over-again. Circulez, y a rien à
voir.
« T’en fais
pas, lui ai-je répondu, au moins tu ne crois pas à la réincarnation ! Les
chances de revenir sont plus minces. »
Est-ce l’absurdité
de la comédie mortifère qui se déroule sans s’essouffler devant nos yeux ?
Est-ce la lecture de La voleuse de livres, best-seller de Markus Zusak dont la
narratrice est la mort ? J’ai passé la semaine à ne penser qu’à elle. Et
pourtant, elle se tient aux aguets, attend son heure, mon heure, tous les
jours. Comme elle a attendu Isabelle Péladeau au détour, tiens. Tu ne peux pas
avoir un rendez-vous plus absurde avec ton destin, ce que nous appelons un « bête
accident ». Dans l’eau gelée, on dit que c’est le coeur qui meurt en
premier. Devant la télé, cette semaine, c’est mon âme qui s’étiolait. Le
malheur, c’est qu’on y survit.
Dans La voleuse de
livres, la mort n’a pas d’états d’âme, elle les emporte avec elle, jeunes ou
vieilles, laissant des dépouilles refroidies sur le sol transi d’une Allemagne
occupée par la guerre et le régime nazi. La mort n’a que l’embarras du choix.
Pourquoi se
presser ?
Sur les réseaux
sociaux endeuillés (un salon funéraire bien pratique), on relit souvent les
mêmes lieux communs : la vie est si courte, il faut en profiter, y a
qu’une justice, quand ton heure est venue, elle est mieux là où elle est, c’est
la vie, elle a bien vécu… et quantité de petits clichés philosophiques qui
tiennent lieu de béquille, le temps de meubler le silence. L’effroyable silence
entre deux lol.
La seule qui ne
« lole » pas, c’est elle, la faucheuse. Et c’est pourquoi on parle
toujours d’heure de vérité lorsqu’il est question d’elle. Finie la comédie.
À voir le cirque
médiatique autour de la fosse septique du Far-Web et des fauteurs de troubles,
je me rappelle ces phrases dans La voleuse de livres. C’est la mort qui
dit : « En conséquence, je trouve toujours des humains au meilleur et
au pire d’eux-mêmes. Je vois leur beauté et leur laideur, et je me demande
comment une même chose peut réunir l’une et l’autre. Reste que je les envie sur
un point. Les humains ont au moins l’intelligence de mourir. »
Tu parles !
S’il fallait être condamnés à l’éternité, ça me tuerait. Je dis souvent à
mon mari qui n’est plus sous garantie : « Si tu meurs, j’te
tue. » C’est une façon de se dire « je t’aime » chez nous. À la
fois pudique et terriblement efficace. Ça nous rappelle qu’il y aura une fin,
qu’on tient à l’autre, qu’il n’a pas le droit de quitter la table avant le
dessert. Et puis on le dit tout haut, pour qu’elle nous entende, elle, la
snoraude, la rôdeuse.
On peut mourir de
faim, de soif, de peur, de froid, de honte, de vieillesse (c’est pareil de nos
jours), de rire, d’ennui, de chagrin et même de sa belle mort. Tapie, elle
attend. Et au final, c’est le souvenir que tu laisses aux autres qui te survit.
Je n’aimerais pas m’appeler Adolf Hitler, ni même Gab Roy. Avec un peu de
chance, ce dernier se fera oublier.
Fuir la tiédeur
C’est elle qui
nous pousse vers la passion, nous explique le très sage François Cheng dans Cinq
méditations sur la mort — autrement dit sur la vie. « La mort invite à un
effort pour sortir au moins de notre condition ordinaire, et cet effort a un
nom : passion. Passion d’aventure, passion d’héroïsme, passion d’amour,
ainsi que toutes sortes d’autres passions de moindre envergure. Celles que je
viens de nommer sont les plus hautes, dans la mesure où toutes trois mettent en
jeu la vie de celui qui s’y engage : l’épreuve de la mort y est un risque
à courir, une preuve de la grandeur humaine. »
Face à
l’inexorable, face au destin, Cheng oppose l’instant, comme les grands maîtres
zen asiatiques. Et il rappelle même l’importance du temps. « C’est dans le
temps que cela se déroule. Or le temps, c’est précisément l’existence de la
mort qui nous l’a conféré ! »
Et puis il y a
tout ce qui la repousse momentanément, ce qui donne un sens au chaos, atténue
l’angoisse, apaise la solitude, tout ce qui nous rend plus humains et moins
mortels. Peu de choses, au fond, mais c’est tout ce qu’on connaît :
l’amour, nos enfants, nos ancêtres, une épaule. Comme le disait le philosophe
Gabriel Marcel : « Aimer un être, c’est dire : “ Toi, tu ne
mourras pas. ” »
Alors, j’aime. Si
ça peut sauver des vies…
***
***
Aiméle livre La
voleuse de livres de Mark Zusak. L’histoire de cette jeune Allemande adoptée
par un couple désassorti, qui finira par héberger un jeune juif lors de la
Seconde Guerre mondiale, est à la fois touchante et fort bien tournée. J’ai
plongé dans ce roman de 550 pages à la faveur d’une pause, pour en ressortir
trois jours plus tard. Il s’adresse aux jeunes de 13 ans ou plus, mais il
convient à tous ceux qui ont envie de se faire raconter une belle histoire
faite de bravoure, d’amitiés et de complicités. Sans compter l’amour des livres
et des mots, tout du long (Pocket Jeunesse).
Savouré le film La
voleuse de livres tiré du roman, présentement sur nos écrans. Une belle
adaptation signée par Brian Percival et des accointances avec Anne Franck pour
la juvénilité des passions et La liste de Schindler pour l’humanité déployée.
L’acteur Geoffrey Rush (le père de la petite voleuse) est tout à fait
exceptionnel dans ce rôle taillé pour lui.
La mort tient lieu
de narratrice, comme dans le livre. La jeune comédienne québécoise Sophie
Nélisse est attachante au possible et le film demeure assez fidèle au livre.
Mon B l’a adoré aussi. La bande-annonce est ici.
Adoré la série
policière britannique Broadchurch. On tente d’élucider le meurtre d’un garçon
de 11 ans dans ce petit village balnéaire du sud de l’Angleterre. Thriller
psychologique efficace, on se mange les doigts durant huit tranches d’une
heure. J’ai enfilé les trois premières sans respirer. À Radio-Canada dès février.
JOBLOG
Surhumaines
Je
m’étais bien juré de ne pas regarder le documentaire Les survivantes de
Karina Marceau et Éli Laliberté, présenté à Télé-Québec lundi. Pas envie d’amplifier
la tristesse ni d’être voyeuse. Je suis tombée sur elles par hasard, au moment
où le film commençait. Je suis restée deux minutes, puis toute l’heure. J’ai
été ébranlée après. Le suis toujours. Comment soulager ces femmes qui
deviennent des coupables ? Rien pour rassurer toutes celles qui se
retrouvent dans leur position et redoutent de quitter leur conjoint, soit parce
qu’il est violent, soit parce qu’il est déséquilibré.
Que dire à ces mères
résilientes devant la perte d’un enfant assassiné par leur ex-conjoint ?
Que faire sinon signer la pétition où elles demandent à être aussi bien
traitées que si leur enfant avait péri dans un accident routier ? C’est
peu.
Et si mes impôts pouvaient servir à prévenir la violence conjugale
plutôt qu’à entretenir une piscine intérieure dans un centre correctionnel
hospitalier (Pinel), ce serait encore mieux.
Le film peut être visionné à
partir du site (la pétition y est aussi), dans la zone vidéo de Télé-Québec.
merci Messidor ,
RépondreSupprimeret oui elle nous attend dans le détour,je suis de plus en plus proche d'elle
bonne journée à vus trois / bonjour Puce
Bonjour Rejj,
RépondreSupprimerIl faut l'apprivoiser, car elle ne nous oubliera pas...?
D'ici là, vivons intensément le temps qu'il nous reste !
Et saisissons toutes les chances qui s'offrent à nous.
RépondreSupprimerLes chances et les moments de bonheur...
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