jeudi 5 décembre 2013

Pleurer un coeur qui n'a pas battu




Un texte tendre, un chroniqueur qui gagne à être lu !



Pour Louis, avec tendresse
Une chronique signée Savignac,
publiée dans le Huffington Poste le 3 décembre 2013


Sur la promenade de la Rue de la Commune, septembre était bienveillant. Elle était bouclée, jolie, et son rire nerveux interrompait le mien. Nos regards se faisaient leurs premières promesses. Elle me racontait ses passions, sa liberté, sa vie sans enfant. Mais je ne savais pas le vide. Alors je lui parlais de mon fils. Comment il avait, pour toujours, donné un sens à mon existence. Je lui décrivais sans prudence l'amour indéfectible, le ravissement de chaque matin. Je ne voyais pas encore la tristesse de ses longs sourires.

Il devait se prénommer Louis. La chambre était prête, juste en face de la sienne. Il déambulerait maladroitement en salopettes et dirait Maman bien vite. Tout était évident. Respirer, c'était appeler Louis. Elle avait la douceur d'Hestia, les hanches d'Isis, ce n'était qu'une question de temps, et il s'écorcherait bientôt les genoux. Mais son ventre prêt est resté silencieux, la chambre est devenue un bureau, et Louis n'est pas venu.

Elle devait faire ce deuil étrange et invisible, vide de souvenirs. Pleurer un cœur qui n'a pas battu, s'ennuyer de ce qui n'a pas été, sourire sa peine au ventre des amies. Écouter sans amertume la complainte des parents sans sommeil, être marraine à l'occasion, emprunter mon enfant. Le rendre.

J'ai compris que je ne trouverais pas les mots.

Au salon du livre de Montréal, Dany Laferrière signait Journal d'un écrivain en pyjama. Je m'engageais dans la file d'attente, mais avec à la main L'énigme du retour, mon préféré. Face à l'auteur, j'ai dit: "c'est lui, c'est ce livre-là que j'aimerais que vous signiez". Il a souri, puis lentement, il l'a ouvert, il a pris un feutre vert et a dessiné une fleur. Ensuite, avec un feutre mauve, il a écrit quelques mots, il a signé, et il a refermé le livre en souriant encore. Il m'a tendu la main, et je suis parti, plein de joie maladroite.

Elle m'attendait un peu plus loin, avec aux lèvres un bonheur complice que je voulais sans fin. Elle m'a embrassé, puis nous avons ouvert le livre pour lire la dédicace ensemble.

Quand j'ai dit à Dany Laferrière: "c'est lui, c'est ce livre-là que j'aimerais que vous signiez", au milieu du bruit des badauds, il n'a pas entendu "lui", il a entendu "Louis", et la dédicace mauve, près de la fleur verte, disait: "Pour Louis, avec tendresse".

Nous sommes ressortis à quatre d'un salon où nous étions rentrés à trois. Louis existe, son nom est écrit en toutes lettres de la main de l'écrivain. Il n'est plus absent. Il est là, près de la fleur verte. Il est peut-être Haïtien...





3 commentaires:

  1. Merci Puce pour ton commentaire qui n'apparaît pas ici,
    mais seulement sur Google.
    Zut! Encore un mauvais pitonnage de ma part...

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  2. Bonjour Jo,
    Ah oui, un très joli texte!
    Merci d'être passée !

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