samedi 16 mars 2013

Une autre espèce en voie de disparition...!



Chronique de Josée Blanchette publiée dans Le Devoir, le 15 mars 2013

Le son du silence

À la poursuite d'une espèce en voie de disparition

«Toutes les épreuves qui fondent sur vous peuvent être surmontées par le silence.» – Abbé Poemen

« La semaine dernière, la ville bruissait doucement, les moteurs avaient déserté les pavés le temps d’une relâche, partis tonitruer sous d’autres cieux. J’ai retrouvé un quartier moins agressant, plus convivial, capable de sourire aux passants, de ralentir, à hauteur d’homme. Et j’ai repris le pouls du stress lié aux bruits.

C’est en lisant le magnifique essai In Pursuit of Silence, de l’auteur new-yorkais George Prochnik, que l’immensité du défi associé à cette forme de pollution diurne et nocturne m’est apparue comme une des batailles les plus importantes du siècle à venir.

Pas de spiritualité sans silence, pas de création non plus, pas de capacité de réflexion ou décisionnelle sans son accord tacite, pas de sens sans ce sens souverain. Il arrive du silence ce qui est advenu de l’eau. Plus jeune, je puisais des écrevisses dans les ruisseaux de l’Estrie… mon fils ne connaîtra pas cette joie. Lui reste le beurre à l’ail.

Déjà, les effets secondaires du bruit commencent à se faire sentir avec cette ébauche de printemps qui nous convie à nouveau vers les fenêtres ouvertes. C’en est terminé du cocon ouaté nous tenant lieu d’intérieur, de cette isolation blanche naturelle, d’un semblant de silence associé à la solitude hivernale.

La lecture silencieuse du livre de George Prochnik m’aura convaincue d’une chose : nous devenons de plus en plus sourds, les uns à cause de l’âge, les autres n’ayant que leur iPod à blâmer. Et plus nous serons sourds, plus nous ferons grimper le son, pris dans cette spirale infernale.

Cela m’a frappée dernièrement, alors que j’étais invitée par les Amis de la montagne à une marche nocturne en raquettes. Je m’attendais à une pieuse randonnée sur le mont Royal, à la jonction de la religion urbaine et de la secte écologique. J’ai eu droit à plus de décibels que je ne peux en emmagasiner en un mois. Musique énergique, réchauffements hurlés dans un micro par une animatrice en phase maniaque qu’on aurait dit embauchée pour nous motiver jusqu’au camp de base de l’Annapurna, pétards assourdissants (ouch !) pour signaler le départ, bénévoles survoltés le long de ce parcours de… deux kilomètres. Bref, plus fatiguée par l’exploit auditif que physique, pollution sournoise commanditée, j’ai retrouvé le calme de la coquille de mon auto avec soulagement. Imaginez une soirée chez les Amis du VTT…

Et si tu n’existais pas

Sous ses faux airs guillerets, dynamiques, jeunes, actifs et stimulants, le bruit est en passe de devenir une forme de fast-food auditif. Les conséquences commencent à se faire sentir, nous préviennent les spécialistes de l’audition ; la déferlante de jeunes affligés du tympan ne semble pas vouloir ralentir. On parle de 150 % d’augmentation des consultations chez les 25 à 27 ans, en une décennie. Le screamo, contrairement à la masturbation, rend sourd. Et les vers d’oreille deviennent acouphènes à demeure.

Hier, 14 mars, les Français célébraient leur 16e Journée nationale de l’audition. Et ils se sont déjà attaqués aux mp3, légiférant sur les décibels des baladeurs. Il a fallu 200 millions d’années pour fignoler notre canal auditif et une dizaine seulement pour tout bousiller. Le tiers des Américains ont déjà développé des troubles auditifs.

Après avoir interviewé astronaute, moines, audiologistes, scientifiques de l’ouïe, policier, soldat (le silence de la guerre), chasseur, marchands, propriétaires d’autos modifiées aux systèmes de son atteignant 170 décibels (boom car) qui font craquer les pare-brise, George Prochnik nous explique qu’on retrouve très peu de sons puissants dans la nature, hormis le tonnerre. Malgré sa faculté d’adaptation, l’être humain ne peut pas se protéger contre les bruits agressants, sauf en coupant le son et en créant une barrière interne. Vous dites ?

Une sirène d’ambulance provoquera toujours une augmentation de la pression sanguine, la dilatation des pupilles, etc. Nous sommes biologiquement conçus pour prendre nos jambes à notre cou devant l’envahisseur. Les scientifiques interrogés attribuent à l’ouïe notre survie en tant qu’espèce, rien de moins. Et ils n’ont toujours pas mesuré les effets d’une chanson de Céline Dion sur la surdité précoce.

« Le silence nous rend capable de départager ce qui est important de ce qui ne l’est pas », explique l’auteur. Il suggère de rechercher les endroits contre-culturels, désertés, de marcher en sens inverse de la foule, vers les cimetières les jours de semaine, les églises muettes, les musées poussiéreux, les bibliothèques de quartier (je vous ai déjà parlé de celle des Dominicains), pour retrouver un semblant de paix auditive. Même les fonds de piscine ont été équipés de haut-parleurs, interdisant aux plus désespérés d’en finir avec la musak.

Trop nombreux sur terre (et sous terre aussi)

Si les mystiques et les artistes ont usé et abusé du silence, c’est qu’il est le plus court chemin vers soi, pas une fin en soi. Déjà, en 1961, un spécialiste américain de l’audition avait fait une étude auprès des membres d’une tribu reculée d’Afrique, les Mabaan, ne faisant usage ni de tambours, ni d’armes à feu. 53 % d’entre eux étaient capables de distinguer des sons que seuls 2 % des New-Yorkais parvenaient à identifier. Imaginez 50 ans plus tard…

Nous sommes devenus bruyants exprès pour marquer le territoire, afficher notre supériorité, envahir, punir, empiéter, nous analgésier. Nous voici pris au piège de notre propre enflure. En anglais, noise partage les mêmes racines latines que « nausée ».

On dit du silence qu’il est le langage de l’âme. Peut-être l’avons-nous perdue, tout simplement. Jadis, j’ai souvenir d’avoir visité (avec un curé défroqué) le cimetière caché sous le Grand Séminaire de Montréal, rue Sherbrooke; des tombes de prêtres recouvertes de terre battue, une croix de bois pour seule épitaphe; un Montréal underground comme on n’en fait plus. Le silence des morts, m’étais-je dit, est peut-être la seule réponse valable. Et c’est sûrement pourquoi il nous fait si peur.

Comme le paradis, je vous le souhaite avant la fin de vos jours. »

***

A

5 commentaires:

  1. Merci Messidor

    Très belle parution intéressante...
    Dommage d'en être rendu là par contre.....

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  2. Bonjour Jo,
    Assez paradoxalement, Internet reste un refuge
    préservé puisque qu'on y communique en silence.
    Souhaitons qu'il en soit ainsi.
    Tu imagines le bruit si nos communications étaient
    sonores ?!
    Bonne et belle journée !

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  3. Bonjour Messidor,

    Quand, il y a 2 ans, nous avons quitté la ville pour Santa Fé, c'était en partie pour retrouver le calme de la campagne, la joie d'entendre les oiseaux qui avaient déserté la ville, de voir de petits animaux gambader sur notre terrain et surtout de pouvoir profiter d'un silence et d'une quiétude, nous ne le regrettons pas.

    Bon samedi.

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  4. Puce

    Tu as sûrement fait le bon choix...
    Hé! que l'ont est bien...j'adores moi-aussi....

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  5. Puce, Jo Blo,

    Tout à fait d'accord,
    le silence est un grand complice de la campagne et des régions retirées.

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