Quand le français se fait discret
Article de Louise Leduc publié dans La Presse, le 10
mars 2013
« Qu'en est-il du
visage français du Québec? Une petite virée dans n'importe quel centre
commercial de la région montréalaise - le Carrefour Laval, à tout hasard -
illustre bien les défis qui attendent le prochain président de l'Office de la
langue française.
Bath and Body
Works. Forever 21. Amnesia. Body&Beach. American Eagle Outfitters. Stitch
It - Clothing Alteration. Payless Shoe Source. Mexx Kids. Style Exchange.
Quicksilver. Rocky Mountain Chocolate Factory. Sunglass Hut. Victoria's Secret.
Pink. Etc. Au Carrefour Laval, le quart des noms de magasins est en anglais et
le descriptif français, quand il y est, vire très souvent l'esprit de la Charte
de la langue française à l'envers.
En effet, comme la
loi ne précise pas l'ampleur que doit avoir un générique, c'est souvent en tout
petits caractères que le descriptif français est ajouté, en dessous d'un nom de
magasin en anglais en très grosses lettres.
Il faut être très
attentif devant The Children's Place pour voir le descriptif «vêtements et
accessoires pour enfants», tout comme il faut s'approcher de près pour voir le
mot «Créations» au-dessus de «Chop Crazy».
Sous les libéraux,
alors que le Tout-Montréal se scandalisait de l'omniprésence de l'anglais dans
la métropole, une campagne dite «d'information» a été lancée pour inciter les
entreprises à franciser leur nom ou, à défaut, à ajouter un descriptif en
français.
Le fait d'être
conforme aux yeux de l'Office québécois de la langue française tient à de bien
petites choses. On verra par exemple au Carrefour Laval «Le» Body Shop, «Le»
Smart Burger.
ILLUSTRATION LA
PRESSE
N'empêche, pour
six multinationales, c'est trop. Ainsi, Best Buy, Costco, Gap, Old Navy, Guess
et Walmart contestent l'obligation d'un descriptif ou d'un nom en français dans
une cause attendue à la Cour supérieure dans les prochains mois.
Les nouveaux
magasins Walmart ajoutent la mention «Super Centre» quand ils incluent des
pharmacies ou des produits d'épicerie, mais l'entreprise ne veut pas ajouter de
mots français à ses autres magasins.
L'offensive en
cours des six multinationales a-t-elle incité l'Office à ralentir la cadence de
sa «campagne d'information»? Le porte-parole de l'Office, Martin Bergeron, a
indiqué (avant le scandale du pastagate et avant la démission de Louise
Marchand) que l'Office continuait comme à l'habitude à réclamer des entreprises
qu'elles ajoutent au moins un descriptif en français.
Au cours des
dernières semaines, en se justifiant par un nécessaire réalignement après le
pastagate, l'Office de la langue française et la ministre Diane De Courcy se
sont refusés à tout commentaire sur l'omniprésence de l'anglais dans
l'affichage.
Le Carrefour Laval
et Cadillac Fairview (qui l'administre) n'ont pas voulu faire de commentaires
non plus. De toute manière, c'est ainsi un peu partout. Fait à noter, au
Carrefour Laval, si le quart des magasins a un nom anglais, les autres ne
renforcent pas nécessairement le visage français du Québec (Browns, Reitmans,
Terra Nostra, Zaxe, Clarks, Briks, Rudsak, Aveda, La Senza, Michael Kors,
etc.).
Plusieurs magasins
que nous avons joints - Victoria's Secret et compagnie - n'ont pas donné suite
à nos appels.
Pour sa part,
Aldo, une entreprise montréalaise qui possède notamment les magasins Little
Burgundy et Spring, nous a précisé, par l'entremise de sa porte-parole Wendie
Godbout, qu'un processus est justement en cours, depuis l'automne 2012, pour
ajouter des génériques en français qui ont été approuvés par l'Office. Le
processus devrait être terminé d'ici les prochains mois. Little Burgundy sera
bientôt précédé du mot «Espace» et Spring, du mot «Boutique».
***
Des entreprises
qui ont déjà été plus réceptives
Alors que Walmart fait partie des entreprises qui
contestent l'obligation d'ajouter un descriptif en français au Québec, des
symboles chinois ornent ses magasins en Asie et des magasins Walmart entièrement
en espagnol ont été ouverts dans le sud des États-Unis. Pourquoi, dans ces
conditions, ne pas s'adapter aussi au marché québécois? À ce sujet, Walmart
Canada nous a demandé de téléphoner à Wal-Mart aux États-Unis, qui ne nous a
pas rappelés. À une certaine époque, plusieurs multinationales sont allées
jusqu'à franciser leur nom: Poulet frit Kentucky (Kentucky Fried Chicken),
Dormez-vous (Sleepless Country), Bureau en gros (Staples), Pharmaprix
(Shopper's Drug Mart). Val Outmezguine, relationniste chez Staples, explique
que l'entreprise a voulu être respectueuse du marché québécois. «Avant
d'arriver, nous avons conduit une étude de marché et nous avons réalisé qu'un
nom en français nous permettait d'être mieux perçus des francophones.» Frank
Pons, professeur de marketing à l'Université Laval, relève qu'officiellement,
les grandes entreprises invoqueront les coûts additionnels et l'atteinte non
souhaitable à leur image de marque pour ne rien franciser. «Mais dans les
faits, je crois que si les grandes entreprises ne se donnent pas la peine
d'ajouter quelque mot de français que ce soit, c'est qu'elles constatent que
cela ne leur fait pas perdre de consommateurs. Si l'opinion publique ne se
soulève pas trop non plus, elles ne voient pas d'intérêt à changer quoi que ce
soit.» La petite taille du marché québécois n'aide pas non plus, croit M. Pons,
qui dit avoir hâte de voir comment Target se comportera.
Très peu
d'amendes
Bien que les noms
d'entreprises en anglais pullulent à Montréal - et ailleurs -, très peu
d'amendes sont distribuées. Ainsi, entre avril 2011 et décembre 2012, René
Verret, porte-parole au Bureau du directeur des poursuites criminelles et
pénales (DPCP), signale que deux constats pour affichage non conforme à la
Charte ont été faits, et onze autres pour affichage problématique du nom
d'entreprise dans une autre langue. Les rares amendes distribuées varient entre
250 et 1500$.
***
Ce que dit la
loi
L'article 63 de la
Charte de la langue française précise que le nom d'une entreprise établie au
Québec doit être en français. Mais il y a une exception de taille: les noms
d'entreprise qui sont enregistrés comme marques de commerce. N'empêche, sous
les libéraux, l'Office a commencé à faire campagne pour que le nom d'entreprise
anglais soit accompagné d'un mot ou d'une expression descriptive (générique) en
français, ou encore d'un slogan en français qui décrit les produits ou les
activités de l'entreprise. Cette obligation est contestée devant les tribunaux
par six multinationales.»
Tout à fait d'accord. En voyage à l'étranger, j'ai vu des entreprises multinationales afficher dans la langue du pays. Pourquoi pas au Québec?
RépondreSupprimerJe me souviens qu'en plein débat sur l'affichage français, Le coin de petits changeait de nom pour Children's Place, pourquoi avoir laissé faire ce changement?
Mais par contre, quand on s'attaque à un restaurant italien (nous à Québec, on y a goûté!) qui veut, un tant soit peu, se démarquer, et qui a sur son menu des pasta, des pizza, etc. je trouve ça un peu tiré par les cheveux.
Va-t-on aller jusqu'à demandé une traduction française des «quesadillas, keftas et autres?
Mais chose certaine, au Québec, je veut et j'exige de me faire servir en français.
Bon dimanche
C'est certainement bien plus facile pour les inspecteurs de l'office de s'attaquer à des petits restaurateurs qu'à des représentants de multinationales. Mais c'est aussi bien plus grave de laisser passer ce type de manquements méprisant tous les francophones.
RépondreSupprimerUn grand ménage est nécessaire là aussi.
Pour que les choses changent, faudra-t-il boycotter tous ces magasins qui manquent de respect aux Québécois francophones ?
Moi, j'y pense...
Re-bonjour Rachel,
RépondreSupprimerEh bien moi c'est fait. Pas de Wallmart, de Children's Place, ni autres commerces qui affichent en anglais sans version française (je ne vais même pas chez McDo ou tous ces autres restos américains).
Avant j'achetais souvent des vêtement chez Holt Renfrew,
il y a plus de 15 ans que je n'y vais plus, j'ai changé pour le magasin Laliberté (dans le quartier St-Roch à Québec), même belle qualité, prix raisonnable mais surtout c'est une entreprise francophone à 100%.
Re-allô Puce,
RépondreSupprimerJe t'admire, je voudrais bien être aussi militante que toi.
Mais j'ai un énorme penchant pour Winners et Home Sense.
Je pourrais dire que 95 % de tous mes achats se font dans ces deux magasins.
Mais depuis quelques mois, ils n'ont plus de livres de cuisine en français,
ce qui devrait pouvoir m'aider à résister à mon plaisir coupable...
:-)