lundi 28 janvier 2013

Chronique de Pierre Foglia (5)





Chronique de Pierre Foglia publiée dans La Presse le 26 janvier 2013

Gouverner

« À la mi-décembre, on apprend qu'une leader autochtone, Mme Theresa Spence, vient d'entreprendre une grève de la faim. Elle veut rencontrer M. Harper et le gouverneur général. Elle veut leur parler de ce dont les autochtones parlent habituellement avec les politiciens, de territoire, de redevances, de services.

Elle va devenir l'égérie d'un mouvement de contestation autochtone - Idle No More - qui nous fera un début d'année très emplumé d'un océan à l'autre.

Je n'entrerai pas dans les cent péripéties de cette contestation qui n'a pas montré une très grande cohésion chez les leaders autochtones, mais qui a montré un M. Harper fidèle à lui-même: redoutablement habile.

M. Harper a attendu que l'on répète à l'envi que la gréviste de la faim se nourrissait en catimini, que sa propre réserve d'Attawapiskat n'était sûrement pas une modèle de bonne administration - à ce propos, des chiffres ont circulé qui ont fait hurler le Canadien moyen et quelques chroniqueurs -, bref, M. Harper s'est laissé bercer par le sourd ressentiment qui exsude de la majorité blanche dès qu'un autochtone revendique quelque chose. Il a finalement rencontré une vingtaine de leaders autochtones.

À l'issue de la rencontre, M. Harper s'est dit résolu à maintenir un dialogue permanent. Six semaines pour en arriver à ce petit bijou: M. Harper s'est dit résolu à maintenir un dialogue permanent! Ce n'est pas tout. M. Harper s'est dit également résolu à «franchir des étapes réalisables qui donneront de meilleurs résultats pour les communautés des Premières Nations».

Franchir des étapes réalisables.
La dernière fois que je suis allé dans une réserve, c'était il y a deux ans, fin avril 2011, à Kitcisakik, une réserve algonquine au sud de Val-d'Or. Je me suis fait traduire en français le nom de la rue principale: rue du Barrage, comme dans barrage hydroélectrique. Au bout de la rue du Barrage, il y a effectivement un barrage. Une petite Manic, si vous voulez. Allez donc savoir pourquoi la grande majorité des foyers du village n'ont pas l'électricité. Frigos et télé - pour ceux qui en ont - sont alimentés par une génératrice.

Rue du Barrage, il y avait une dame sur sa galerie. Elle me fait signe d'approcher et, en me montrant une sorte de gros vase, me dit: vous savez ce que c'est, monsieur?

Un pot?

Oui. C'est le pot dans lequel je fais pipi la nuit et mes quatre garçons aussi. On n'a pas de toilette. On n'a pas de toilette parce qu'on n'a pas l'eau.

Elle m'a fait entrer dans la pièce unique de sa maison pas-d'eau-pas-de-toilette-pas-d'électricité - on est bien en 2011 au Canada -, une pièce unique, disais-je, divisée par une sorte de cloison, côté cuisine, une truie pour le chauffage, une table, un frigo, un réchaud à deux brûleurs pour faire la bouffe à ses quatre garçons, côté chambre, des matelas roulés contre le mur.

C'était fin avril 2011, je l'ai dit. Quelques jours plus tard, M. Harper allait être élu à la tête d'un gouvernement conservateur majoritaire.

Et déjà très résolu, à cette époque, à franchir des étapes réalisables.

J'allais oublier le plus drôle de cette histoire, vous rappelez-vous pourquoi Mme Spence avait commencé sa grève de la faim: pour rencontrer M. Harper et le gouverneur général. Elle a mis fin à sa grève mercredi, je vous laisse deviner sur quel souhait: eh bien oui, sur le souhait de rencontrer M. Harper et le gouverneur général.

La culture
Je suis en train de lire une revue à la fois revigorante et... désespérante. Revigorante parce qu'elle déménage les méninges, désespérante parce qu'elle se présente comme un précis de culture générale, 25 essentiels de culture générale regroupés sous le titre Sous peine d'être ignorant, or plus j'avance, plus c'est le contraire qui survient: plus je me sens ignorant à force de mesurer tout ce que je ne sais pas. C'est effrayant, tout ce que je ne sais pas.

Il s'agit de la revue Argument, une revue québécoise biannuelle qui parle habituellement de politique, de société, d'histoire, tirage modeste de 350 copies par numéro, pas vraiment alignée, tantôt de droite, tantôt de gauche, selon les sujets et les signatures. Pas subventionnée non plus parce que n'entrant dans aucun créneau, elle existe depuis 15 ans, je vous parle justement du numéro anniversaire.

Le sujet, je l'ai dit, la culture générale, sauf qu'au lieu de pleurer encore une fois sur son absence, Argument a dressé une liste de 25 sujets essentiels qui pourraient en constituer les fondations.

Bach, La Bible, Lincoln, Proust, La Seconde Guerre mondiale, Le vouvoiement, La poésie, La Renaissance, Les droits de l'Homme (celui-là, je n'ai rien compris! rien!), Champlain, Le latin et le grec (lumineux), Homère et, le plus transcendant jusqu'ici, Le totalitarisme, que je termine à l'instant.

Je ne suis pas le seul à apprécier ce numéro de haute voltige puisqu'on a dû aller deux fois en réimpression depuis décembre, près de 3000 exemplaires vendus. Mais ne dites pas que je ne vous ai pas prévenu: vous commencerez cette lecture vous sachant un peu nul, 25 essentiels plus loin, vous conviendrez vous-même que vous êtes totalement con. Consolez-vous, vous le serez déjà un peu moins de le savoir.

PÉPÈRE LA VIRGULE Je parlais l'autre jour d'une failure chez Armstrong, s'cusez. Je voulais dire fêlure. Je ne faisais pas mon rigolo avec failure, échec en anglais. C'est bien de la fente dans le cerveau fêlé d'Armstrong que je voulais parler, fêlure donc.

Parlant d'Armstrong, de dope et de tout ça, arrêtez de m'écrire pour m'expliquer que les coureurs prennent de la dope parce que le Tour est tellement difficile. Le prochain, je le mords. »

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