mercredi 3 juillet 2013

Décider ou l'art de l'immaîtrise



« Délaisse les grandes routes, emprunte les sentiers.»

Pythagore



L'art de la décision
Article publié dans Psychologies.com, juin 2013

Qu’est-ce qu’une bonne décision ? Celle qu’on ne regrette pas ? Qui fut longuement mûrie, réfléchie ? Méfions-nous de ces pistes rapides…

Décider, c’est trancher, et trancher demande du courage. Trancher relève de l’art, et non pas de la science. L’art de sauter dans le vide, de découper le réel au moment même du saut. Je démissionne ou pas ? Je vote ou je m’abstiens ? Je le quitte ou pas ? C’est précisément parce que ma réflexion ne suffit pas qu’il va me falloir le courage de trancher. J’ai eu beau peser le pour et le contre, mesurer tous les arguments, demander tous les conseils, cela ne suffit pas. Alors j’y vais ; j’y vais dans l’incertitude, malgré l’incertitude. 

« Le secret de l’action, c’est de s’y mettre », écrit joliment Alain pour nous donner des ailes. L’art de la décision se déploie toujours dans l’au-delà du savoir. Une décision fondée en raison, parfaitement justifiée dans une batterie de tableaux Excel, n’est pas une décision : c’est simplement un choix. « J’ai choisi » et « j’ai décidé » sont donc faussement synonymes. Choisir demande de l’intelligence, décider demande surtout de la volonté. De l’intelligence aussi, bien sûr, mais une intelligence qui ne suffit pas et se trouve secourue par notre volonté. C’est la thèse singulière de Descartes, si peu « cartésien » pour le coup : être humain, c’est compenser un entendement limité par une volonté infinie. Ce que nous avons en nous d’infini, ce que nous pouvons déployer sans limites, c’est la volonté, et non l’intelligence. Décider, c’est ainsi vouloir plus qu’on ne sait. À l’origine des plus belles aventures humaines, il y a toujours quelqu’un qui y est allé dans le doute, qui a voulu plus loin que ce qu’il savait ; il y a toujours une prise de risque. Si nous attendions d’être sûrs pour agir, nous n’agirions jamais. 

Mais la prise de risque n’est pas l’amour du risque, le sens du risque n’est pas l’amour du risque. Le téméraire aime le risque, il fonce sans réfléchir : c’est une tête brûlée, pas un décideur. Il est téméraire, et pas courageux. Le décideur cherche d’abord, par son intelligence, à réduire le risque, mais il sait très bien, en enfant de Descartes, que son entendement est limité et que le risque zéro n’existe pas. Le risque qui reste, il le prend en connaissance de cause. Il n’aime pas le risque, mais il aime « le risque qui reste ». Il n’a réduit le risque que pour mieux prendre « le risque qui reste ». Il n’est allé au bout du chemin de la raison que pour mieux oser le saut dans l’inconnu, dans l’avenir, dans le réel.

Belle leçon d’humanité : il faut marcher au bout du chemin de la raison pour oser se tenir devant ce qui la dépasse. Peut-être est-ce le véritable but de notre souci de maîtrise : oser l’« immaîtrise ».



2 commentaires:

  1. Hum! On dirait que ce texte a été écrit pour mon homme ce matin. Je vais lui faire lire dès qu'il reviendra du travail.

    Et qu'elle est belle cette photo.

    Merci du partage

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  2. Bonjour Puce,

    Il est vrai que prendre une décision est un art difficile.
    La peur de se tromper est toujours présente, il faut savoir prendre
    des risques. Mais comme le dit le proverbe, qui ne risque rien n'a rien...

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